LE PROBLEME DE LA SOCIAL-DEMOCRATIE

Par Marcel Souzin (Bruxelles) et Dieter Elken (Berlin)

  • Remarque préliminaire
  • La notion du parti ouvrier bourgeois et ses limites
  • Quelles furent les arguments de l’Internationale Communiste pour défendre sa politique du front unique ouvrier?
  • Pourquoi le SPD a-t-il pu se maintenir malgré tout? L’analyse de Trotsky
  • Gauche ou droite? Est-ce que cette distinction a encore une signification aujourd'hui?
  • Encore quelques réflexions historiques sur la manière dont la politique du front unique a été apprécié au sein du mouvement trotskyste:

    Entrisme et l'adaptation au réformisme

    1. L'échec de l’Internationale Communiste et la crise de la politique du front unique ouvrier
    2. La marginalisation des marxistes révolutionnaires
    3. La crise de direction du mouvement trotskyste après la Deuxième Guerre Mondiale
    4. Le centrisme de Pablo tel qu’il s’est exprimé dans la question du gouvernement ouvrier et paysan de 1946
    5. Première digression: A propos de la grève générale en Belgique 1960/61 et la politique d’Ernest Mandel
    6. Deuxième digression: Les tendances à l’adaptation des trotskystes de l’Allemagne de l’Ouest pendant leur entrisme d’intégration au sein du SPD - La critique de Dieter Wilhelmi
  • Deux types de soutien critique aux réformistes lors des élections
  • Critique des «critères servant à définir un parti ouvrier bourgeois »

    1. Le programme
    2. La pratique de sa participation au gouvernement…
    3. La structure sociale

Le problème posé par la social-démocratie

Remarque préliminaire:

Nous avons lu attentivement les textes de votre organisation concernant le caractère de la social-démocratie, dont le camarade F. T. nous avait recommandés la lecture. Maintenant nous sommes mieux en mesure de comprendre sur quels points nos analyses divergent. Avant de nous prononcer sur les vôtres, nous aimerions d’abord attirer votre attention sur le point suivant :

Bien qu’Initiative Marxiste soit encore une organisation très jeune, un nombre de ses dirigeants avaient déjà participés, avant sa fondation, à une multitude de débats sur le thème que nous traitons ici. Ils se rappellent d’avoir participer à toute une série de discussions qui ont eu lieu au sein du mouvement trotskyste en Allemagne de l’Ouest (RFA) et en Belgique. Force est de constater qu’une grande partie de ces débats fut menée de manière très scholastique. Certes, leur connaissance des textes classiques du marxisme en fut approfondie. Par contre, cela ne leur avait pas permis de trouver, chez Lénine ou Trotsky, des recettes tactiques toutes faites sur la manière dont les révolutionnaires devaient se comporter vis-à-vis de la social-démocratie les trois dernières décennies du siècle passé. Nous pouvons aussi ajouter que l’on trouvera facilement la « citation appropriée » chez Trotsky pour presque tout l’éventail des positions tactiques envers la social-démocratie, à condition toutefois d’ignorer le contexte dans lequel les textes ont été écrits.

En fin de compte, toutes ces discussions se sont quand même avérées instructives et utiles. Pour nous permettre d’aller au fond du problème posé, nous avons été obligés de nous approprié davantage la méthode du matérialisme historique. Nous pensons d’avoir ainsi réussi à bien comprendre le développement de la social-démocratie ainsi que des courants qui lui faisait concurrence au sein du mouvement ouvrier. Comme conclusion de cette parenthèse, nous voulons ajouter que cette discussion n’est pas nouvelle et qu’elle remonte aux débuts du mouvement communiste.

Ainsi nous n'étions nullement surpris de voir que dans le document intitulé « Sur la nature du PS: Ce n'est plus un parti ouvrier réformiste, c’est un parti purement et simplement bourgeois»[1], ainsi que dans d’autres, vous avez tenté d’analyser la position du Troisième Congrès Mondial de l'Internationale Communiste sur la politique du front unique ouvrier (FUO).

Hélas, votre analyse est victime du fait qu’elle n’a pas été faite dans la tradition de Trotsky mais qu’elle se base plutôt sur la tradition lambertiste. Cette dernière est caractérisée selon nous par une compréhension schématique et réductiviste du rapport entre l'analyse historique, la terminologie qui y est dérivée et la tactique qui en découle. En plus, il faut y ajouter les effets néfastes produits par la crise du mouvement trotskyste. Le résultat de l’ensemble de ces éléments est la relation tendue entre la théorie et le développement réel de l’Histoire. Celle-ci, non seulement en France, a été à l’origine de toutes les tentatives pour venir à bout des contradictions qui en découlaient.

1. La notion de parti ouvrier bourgeois et ses limites.

Tout d'abord, force est de constater que dans les thèses de l’Internationale Communiste (IC/Komintern) la notion de "parti ouvrier bourgeois" est absente. Son origine date de plus tard. Elle devait permettre de mieux comprendre le rôle et la fonction de la social-démocratie dans la lutte de classes. Elle désigne un parti avec une politique bourgeoise, voire contre-révolutionnaire, qui, jadis, avait été fondée comme un parti de la classe ouvrière en opposition à tous les partis bourgeois. En dépit du changement de son caractère politique, elle continue à s’appuyer au moins sur une partie de la classe ouvrière. La base sociale de sa politique bourgeoise ainsi que la place sociale qu’elle occupe entre les différentes classes fondamentales de la société bourgeoise, est celle d’une bureaucratie ouvrière embourgeoisée et d’une aristocratie ouvrière qui véhiculent des illusions petites-bourgeoises. Nous apprécions cette terminologie car elle résume de manière poignante la fonction sociale contradictoire de toutes les variantes de la social-démocratie.

 
Cependant, chez vous, cette notion prend un caractère ontologique. Elle se mute respectivement en expression du caractère et de la nature de la social-démocratie et du réformisme. Il s’agit là d’une erreur méthodologique grave qui est lourde de conséquences.

Dans votre exposé, la question du caractère ou de la nature de la social-démocratie n'est pas posée en tant que problème du caractère social ni comme caractère de classe de la social-démocratie. Le plus loin que vous vous avancez dans la concrétisation de sa « nature» est de la qualifié comme «réformiste». Mais quel est donc ce caractère de classe du réformisme? Dans tous vos textes vous remplacez cette analyse par une série de descriptions et de définitions. Ceux-ci ont pour objectif de vous permettre de porter un jugement sur un parti en utilisant des critères sociologiques qui portent sur des partis bourgeois. Hélas, c’est de la peine perdue. Pour les marxistes, le seul critère fondamental est la pratique politique d'un parti dans la lutte de classes. Dans vos analyses, cette pratique politique ne joue soit aucun rôle essentiel, soit seulement depuis 1980. Nous y reviendrons.

Depuis au moins août 1914, la pratique de la social-démocratie est bourgeoise. Là-dessus aucune discussion n’est possible. Cela ne veut pas dire qu’une analyse des mutations de la politique de la social-démocratie, ni du rôle qu’elle a joué les 94 dernières années, est superflue. Cela nous sert de cadre pour notre analyse. La politique des partis bourgeois a connu également des modifications au cours de l'histoire de la lutte de classes. Cela n’a pas conduit à ce que leur politique aurait cessé d'être une politique bourgeoise. Cette évolution, comme celle de l'histoire du capitalisme, se laisse « périodiser». Du point de vue du matérialisme historique et dialectique, ces mutations ne sont pour autant pas devenues des points de transformation qualitative. Ces changements non plus ne transforment le caractère de classe du réformisme à chaque fois qu’elles se produisent.

Le caractère de classe du SPD et de la Deuxième Internationale ne s’est transformé qualitativement qu’une seule fois: en août 1914. Il va de soi que le processus d’embourgeoisement n’est pas resté figé dans le temps, mais qu’il s’est poursuivi (et le déroulement de ce processus doit toujours être analysé concrètement). Mais votre thèse du changement qualitatif de la social-démocratie qui partirait d’un peu bourgeois à complètement bourgeois est, au niveau de la méthode, tout aussi ahistorique qu’absurde.

Le caractère social de la social-démocratie, son essence ou sa nature, sont bourgeois depuis presque un siècle. Depuis lors elle n’a pas changé sa nature de classe. Dans la logique de votre raisonnement, la question à laquelle il aurait fallu répondre est celle de savoir quels intérêts de classe auraient remplacé ceux de la bourgeoisie.

Nous craignons que sur ce point vous êtes toujours sous l’influence de votre passé lambertiste. Vous protestez à juste titre contre l’accusation que vous ignorerez que la politique menée par les réformistes sociaux-démocrates depuis 1914 est une politique bourgeoise. Toutefois vous prêtez quand même un caractère social hybride au réformisme social-démocrate: bourgeois mais en même temps toujours encore un peu prolétaire. L’idée que puisse exister des partis qui peuvent représenter simultanément deux classes opposées est un non-sens. Nous ne pouvons la qualifier -et nous vous demandons de ne pas y voir une insulte- que de petit-bourgeois. Ici aussi nous pouvons constater dans votre analyse les retombés de l’adaptation aux appareils syndicaux réformistes telle qu’elle était pratique par le lambertisme. Malheureusement, nous sommes obligés de faire le même constat lorsque vous traitez de la politique du Front unique ouvrier (FUO). Ce n’est pas la « dureté » de vos critiques pose problème, mais bien les contradictions de vos positions.

2. Quels étaient les arguments avec lesquels l’Internationale Communiste défendait sa politique du Front Unique Ouvrier?

Nous sommes d'accord avec vous pour penser que l'évaluation de la nature et du caractère de la social-démocratie est étroitement liée avec le concept de la politique du FUO. C’est pour cela que nous étions d’autant plus étonnés lorsqu’en lisant vos textes, nous avions constaté que vous n’avez pas reproduit correctement le contenu des thèses de l'Internationale Communiste sur le FUO. Nous ne pouvons qu’affirmer il s'agit d'une interprétation complètement erronée lorsque vous affirmez que les thèses concernant la tactique du FUO contiendrait aussi des propositions adressées aux réformistes dans le bût de s’emparer ensemble du pouvoir. Une notion pareille ne se retrouve ni dans les Thèses du Troisième, ni dans celles du Quatrième Congrès Mondial de l'Internationale Communiste.

Pour rappel: lors de la discussion à propos de toutes les variantes possibles du gouvernement ouvrier, telles quelles sont énumérées dans les thèses du Quatrième Congrès Mondial de l'IC, on peut effectivement lire que les communistes, sous certaines conditions, peuvent aussi soutenir des gouvernements ouvrier non-communistes. Cependant, ils sont dans l’obligation d’éduquer simultanément les masses de manière intensive que seule la dictature du prolétariat assurera leur véritable émancipation. On y peut lire aussi que la participation à des gouvernements ouvriers, dans cette phase de développement de la lutte de classes, n’est envisageable qu’à condition que ces gouvernements :

  • arment la classe ouvrière,
  • désarment la contre-révolution,
  • introduisent le contrôle ouvrier sur la production,
  • rejettent la charge principale des impôts sur la bourgeoisie,
  • et éjectent la bourgeoisie du pouvoir.

Où dans le monde cela est-il possible aujourd'hui ou au moins pourra être considéré comme une perspective pas trop éloignée? Les gouvernements ouvriers en Saxe et en Thuringe[2], en 1923, y ressemblaient encore le plus. Cependant ils n’ont rien mis en œuvre ce programme minimum. Puis ils ont été déposés par le gouvernement du Reich, dont le SPD constituait le parti principal, sans la moindre résistance.

Il va de soi qu’il fallait réfléchir sur les concrétisations de ce concept au niveau de la propagande et de l’agitation en France, en Mai 1968, et au Portugal, en 1974-1975. Là, les combats de classes avaient atteints, tant sur le plan objectif que subjectif, un niveau tellement explosif qu’il fallait exiger des sociaux-démocrates et des staliniens qu’ils rompent avec la bourgeoisie. La faiblesse et l’inexpérience des communistes révolutionnaires combinées avec la trahison ouverte des réformistes (notion qui inclut les staliniens), à laquelle il fallait s’attendre dès le départ, et qui dans leurs rêves les plus audacieux n’ont même jamais rêvé de former un véritable gouvernement ouvrier, constituait un problème incontournable à chaque pas.

Depuis les années trente du siècle dernier, il était évident que la propagande pour un tel gouvernement ouvrier, qui aurait pris la forme d'un gouvernement de coalition des staliniens avec les sociaux-démocrates, ne serait non seulement une sottise déphasée mais aussi une source d’illusions dans le réformisme. La tendance de Grant/Wood[3] avec son éternel "Pour un gouvernement du Labour basé sur un programme socialiste" fournissait et continue à fournir des illustrations de ce type d’illusions.

Aujourd’hui, selon les critères établit au Quatrième Congrès Mondial de l'Internationale Communiste (IC), un gouvernement PS-PC ne pourra dans le meilleurs des cas être qu’un gouvernement réformiste ou social-démocrate. En toute probabilité il s’agira seulement d’un gouvernement ouvrier en apparence. La pratique des partis comme Rifondazione Comunista en Italie ou de « Die Linke » en Allemagne (participant à plusieurs gouvernements régionaux) en dit long.

Malheureusement, lorsqu’il s’agit de créer d’illusions dans le réformisme, le lambertisme ni n’avait, ni n’a pas les mains propres. Votre remarque selon laquelle il aurait été plus particulièrement correct jusqu'en 1980, d’appeler le PC et le PS de s’unir sur la base d'un programme ouvrier, et même d’appeler à voter dès le premier tour du scrutin pour ces partis - en dépit de leur programme réformiste- parce que la question centrale aurait été d’infliger une défaite aux partis représentant directement la bourgeoisie, se situe dans cette même ligne de pensé[4]. Les marxistes-révolutionnaires auraient dû, à notre avis, expliquer simultanément et en toute clarté que la politique proposée par ces deux partis ne garantissait qu'une défaite tactique de la bourgeoisie lors des élections et qu’en fin du compte, cette défaite allait se transformer dans une victoire pour la bourgeoisie parce que la classe ouvrière, à cause de la confiance qu’elle a placée dans le PS et le PCF, allait se retrouver complètement prise de court par l'offensive - qui n’allait pas tardé- de la bourgeoisie. Au lieu de cela, on (=l’OCI, mais aussi la LCR et LO ndlt) a agi comme s'il était vraiment possible de forcer les directions traditionnelles d’être à la hauteur de leur « responsabilité ».

Il s’agit ici d’un malentendu centriste à propos de la politique du FUO qui consiste à exiger d’une manière abstraite la formation d’un tel Front au lieu d’appeler à des mobilisations concrètes autour de revendications ou des objectifs précis (par exemple la défense contre le fascisme). Comme Trotsky l’a écrit dans le chapitre «Rappel historique sur la question du front unique » de la brochure « La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne »[5] le noyau central de la politique du FUO est constitué par la mise en avant de propositions qui correspondent à la situation (élément objectif) et à la conscience des masses (élément subjectif). Le "programme minimum" communiste révolutionnaire pour la participation à un gouvernement ouvrier[6], mentionné ci-dessus, ne s’est pas trouvé, ni objectivement ni subjectivement, à l'ordre du jour durant les 30 dernières années.

De même, l’affirmation selon laquelle l’IC, du temps de Lénine et de Trotsky, aurait déduit sa politique du FUO de la nature ou du caractère du réformisme social-démocrate, est sans fondements. Le texte même des thèses sur la tactique que poursuivait l’IC démontre le non-fondé de cette affirmation. Il est tout-à-fait hors de question que l’IC aurait motivé la tactique du FUO sur le simple constat que la social-démocratie et les centristes, dans leurs discours du dimanche et dans leurs programmes officiels, continuaient à se référer au socialisme comme étant toujours leur objectif. Le point de départ pour l’IC était la nécessité de gagner la majorité de la classe ouvrière à la cause de la révolution. Pour ce faire, il fallait gagner la confiance de la majorité de la classe. La politique du FUO servait à réaliser cet objectif. Elle devait permettre aux communistes de prouver à la partie de la classe ouvrière, qui était toujours influencée par la social-démocratie, que les communistes étaient mieux apte et plus efficace dans la lutte pour ses intérêts quotidiens que les réformistes. Cela n’avait donc rien à voir avec le programme des sociaux-démocrates. Il fallait seulement tenir compte du fait que la majorité de la classe était toujours dirigée par les réformistes ou qu’elle s’orientait sur eux.

Quels ont été les vrais motifs de la politique de l'IC? Nous allons essayer de les exposer brièvement.

Permettez-nous d’abord de formuler la remarque suivante: la social-démocratie allemande, pendant longtemps la fierté et la section modèle de la Deuxième Internationale, s’était, dans la période qui précédait la Première Guerre Mondiale, déjà adaptée à l'Etat bourgeois par le biais des nombreuses municipalités qu’elle dirigeait. Ainsi elle s’était, dans la vie quotidienne, arrangée avec l’Etat. La hausse continuelle du niveau de vie de la classe ouvrière a aussi contribué à ce processus. En raison de la demande sans cesse croissante de main-d'œuvre. Cette augmentation a pu être imposée sans de trop grands problèmes par les syndicats. C’est surtout au sein des appareils syndicaux que cela a conduit à renforcer les liens avec le capitalisme.

En 1914, l'opposition officielle de SPD au capitalisme et à l'Empire a été jetée par-dessus bord. À l'heure de détresse de sa classe dominante, la social-démocratie est passée du côté de l'ordre bourgeois.

Le 3 août 1914 n'était pas n’importe quelle cassure et changement de direction. Le soutien à la guerre impérialiste signifia donner son accord pour le massacre de la classe ouvrière européenne en uniforme et représente la soumission définitive à la bourgeoisie allemande. Le rôle joué par le SPD dans la suppression militaire de l’insurrection spartaciste et, plus tard, dans la lutte des travailleurs pendant la République de Weimar, ne laissait planer aucun doute sur l’irréversibilité du passage du côté de l'ordre bourgeois de la part du SPD. Par conséquence, en 1933, ce parti a préféré la victoire d’Hitler au-dessus d’une collaboration avec le KPD[7]. Politiquement parlant, Lénine et Trotsky considéraient, sans aucune restriction ni modération, que le SPD était un parti pleinement bourgeois. Cette thèse formait la base même pour la création de l’Internationale Communiste.

Le KAPD et l'école marxiste hollandaise, les Bordigistes, les ultragauches britanniques, rejoint plus tard par les gauchistes au sein du KPD, concluaient de ce diagnostic que la mobilisation pour un front unique de la classe ne pouvait se faire, indépendamment des circonstances, qu’à l’encontre et sans les dirigeants de la social-démocratie. Puisque la social-démocratie avait fait couler beaucoup de sang prolétaire, ces courants avaient, au moins dans un premier temps, une influence considérable sur des couches révolutionnaires de la classe ouvrière et qui s’étendaient au-delà des frontières de l’Allemagne. Déjà à l'époque, ces mêmes courants estimaient que la politique bourgeoise et ouvertement contre-révolutionnaire de la social-démocratie excluait toute forme de coopération, du moins avec les dirigeants réformistes.

Dès le début pourtant Lénine et Trotsky se sont opposés, par principe, à ce point de vue. Parce que les communistes n’avaient pas encore gagné la majorité de la classe ouvrière et ne représentaient qu’une minorité, la tâche principale était celle de gagner la confiance des masses, toujours sous l’influence de la social-démocratie, à travers la lutte pour des objectifs partiels, voire la lutte pour des objectifs minimums. En se faisant, les communistes devaient tenir compte du constat que les réformistes continuaient à exercer une influence sur la grande majorité de la classe ouvrière. Selon le Troisième Congrès de l’Internationale Communiste, la trahison de même les objectifs les plus humbles de la classe ouvrière par les réformistes et cela en pleine période de crise capitaliste, offrait des possibilités de gagner cette confiance.

Même lorsque des couches du prolétariat, influencées par la social-démocratie, se querellent avec celle-ci et qu’elles sont mécontentes, il restait néanmoins vrai qu’elles faisaient encore moins confiance aux communistes qu’aux réformistes. Puisqu’une partie de la classe ouvrière continuait à considérer le SPD, comme par le passé, de rester, malgré tout et de manière minimale, le représentant de ses intérêts face aux partis qui étaient fondés comme partis bourgeois, Trotsky, dans la discussion sur la lutte contre le fascisme, soulignait la nécessité de poursuivre une tactique particulière vis-à-vis du SPD bourgeois.

Lénine et Trotsky, ainsi que le Troisième et le Quatrième Congrès Mondial de l'IC, ne fondaient pas leur politique du FUO ainsi que leurs propositions pour des actions communes avec le SPD sur le fait que ce dernier, même après 1914, continuait à se réclamer du but final du socialisme[8]. Au contraire, Lénine et Trotsky justifiaient cette tactique particulière, c’est—à-dire celle du FUO, vis-à-vis du SPD, parce que celui-ci continuait à se représenter comme pouvant représenter mieux les intérêts immédiats des salariés et des autres travailleurs que les partis bourgeois. Plus tard, Trotsky soulignait que, face à la menace fasciste, cette tactique avait de grandes possibilités de réussir, étant donné que le fascisme menaçait l'existence même des organisations sociale-démocrates. Cette tactique n’avait donc rien à voir avec le caractère politique ni avec la «nature» de la social-démocratie (qui est et reste purement bourgeois). Le point prépondérant s’était que la social-démocratie (et les centristes) continuaient encore à s’appuyer réellement sur des couches de la classe ouvrière et qu’ils continuaient à prétendre de défendre les intérêts de ces dernières.

3. Pourquoi le SPD a-t-il quand même réussi à se maintenir ? L’analyse de Trotsky.

Vous affirmez que l’on fait preuve d’une incompréhension totale du réformisme, si l'on ne comprend pas que le rôle dirigeant du réformisme, en tant que courant politique bourgeois au sein du mouvement ouvrier, se base sur le fait qu’il ne peut jouer son rôle néfaste pour les intérêts du prolétariat que parce qu’il réalise des réformes qui améliorent effectivement les conditions de vie du prolétariat[9].

Il est exact, qu’au début, la social-démocratie avait gagné la confiance des larges couches de la classe ouvrière qu’elle dirigeait parce qu'elle avait été étroitement liée à la lutte pour de meilleures conditions de vie. Elle n’a pas perdu cette confiance d’un seul coup ni pendant la guerre déclenché en 1914, ni dans les années vingt ou trente. Même pendant la crise des années vingt, les hausses conjoncturelles de l'économie l’ont aidé à maintenir l’espoir au sein des masses qu’un future meilleur était possible dans le capitalisme. Et même, lorsqu’elle trahissait ouvertement les intérêts de la classe ouvrière, elle n’a pas perdu si facilement son influence sur les masses.

Nous n'aurions aucune différence d’opinion si vous auriez dit que l’embourgeoisement de la social-démocratie permettrait aux marxistes de mieux combattre l'influence du réformisme, surtout en période de stagnation capitaliste et de crise. En effet, le chemin pour analyser concrètement la crise du leadership social-démocrate, dans son évolution réel, aurait été ouvert. Mais au lieu de cela, vous mettez en avant des thèses apodictiques, selon lesquelles le rôle de la social-démocratie au sein du mouvement ouvrier, ses rapports avec la classe ouvrière, dépendent "en principe" de réformes. Et puis basta. Et quand le réformisme n’est plus en mesure de réaliser des réformes ou qu’il les abroge, comme dans les années vingt, ou dans les années quatre-vingt, vous ne le considérez plus comme composante formelle du mouvement ouvrier. Mais qu’est ce que votre théorie change aux rapports politiques réels au sein du mouvement ouvrier? Rien. La seule chose qui change, c'est votre tactique même. Votre approche analytique et abstraite vous mène dans une impasse lorsque vous affirmez, main sur le cœur, que la social-démocratie a mené un combat pour des réformes, même dans des périodes dans lesquelles une telle politique était pratiquement exclue. Selon nous, une approche pareille contient de graves dangers pour vous. Cette analyse pourrait rendre la base des organisations communistes-révolutionnaires perméable au chant de sirènes de l'adaptation aux courants sociaux-démocrates de gauche, qui pourraient voir le jour.

Trotsky nous a donné une explication complètement différente quant au maintien de l'influence de la social-démocratie jusqu'en 1933. Cette explication allait à l’encontre de celle qui expliquait que le SPD, grâce aux réformes, avait réussi à s’immuniser contre la critique de la part des communistes. Trotsky voulait une tactique qui soit capable de fournir des réponses à toutes les variantes de la politique réformiste et il mettait les communistes-révolutionnaires en garde contre toute forme de schématisme. Il était d'avis que ces derniers avaient le devoir d’intervenir dans la crise du leadership social-démocrate et cela avec la plus grande souplesse tactique, c’est-à-dire en mettant en avant le FUO. Mais laissons la parole à Trotsky. En s’opposant au schématisme tactique selon lequel tout accord avec les sociaux-démocrates était interdit, vu la politique ouvertement réactionnaire de ceux-ci, il écrivait :

« L'influence qu'exerce la radicalisation des masses sur les réformistes est en tous points semblable à celle exercée par le développement de la révolution française sur les libéraux. Dans les premiers stades du mouvement des masses, les réformistes évoluent à gauche dans l'espoir de conserver la direction. Puis, lorsque ce mouvement dépassant la limite des réformes, la masse ouvrière réclame la rupture ouverte de ses chefs avec la bourgeoisie, la majorité des réformistes changent brusquement de ton et de suiveurs apeurés qu'ils étaient, deviennent franchement briseurs de grève et traîtres. Toutefois une fraction d'entre eux — et souvent non des meilleurs — passent dans le camp de la révolution.

Un accord momentané avec les réformistes, dans la phase précise où, sous la pression des événements ils se sentent contraints de faire un demi-pas en avant, peut devenir nécessaire. Mais cet accord doit prévoir implicitement la rupture nette et inévitable dès qu'ils font brusquement machine arrière. Les réformistes ne sont pas traîtres en ce sens qu'à tout moment et dans tous leurs actes ils exécutent les ordres formels de la bourgeoisie. S'il en était ainsi les réformistes n'auraient pas la moindre influence sur les ouvriers et dès lors la bourgeoisie n'aurait pas besoin d'eux. Or, c'est pour disposer de l'autorité nécessaire au moment propice que les opportunistes se voient obligés, dans la période de préparation, d'assumer la direction de la lutte ouvrière, surtout dans les premiers temps de la radicalisation des masses. D'où la nécessité de la tactique du front unique, dans l'application de laquelle, au nom d'une plus grande cohésion des masses, nous devons nous résigner à des accords pratiques avec les chefs réformistes de celles-ci. Pour déloger pas à pas la social-démocratie de ses positions, il serait avant tout nécessaire d'avoir une conception d'ensemble bien claire quant à son rôle historique, conception dont il n'y a même pas trace dans les directives actuelles.

Ces directives consistent tantôt à emboîter le pas à la social-démocratie (méthode Brandler 1926-1928), tantôt à vouloir confondre social-démocratie et fascisme, la méthode révolutionnaire faisant place à d'impuissantes bordées d'injures. D'où, comme résultat, les errements des six dernières années : renforcement de la social-démocratie et affaiblissement du communisme. Les directives automatiques du Xe plenum ne pourront qu'aggraver encore une situation déjà par avant suffisamment compromise. Il faut être bien simple d'esprit pour croire que par l'unique vertu miraculeuse de la "troisième période", la classe ouvrière va abandonner en masse la social-démocratie, et pousser la bureaucratie réformiste dans les bras du fascisme. Il n'en sera rien car le processus se déroulera par des voies infiniment plus tortueuses et contradictoires. Que tous les Molotov se le disent donc bien une fois pour toutes ; le mécontentement croissant contre le gouvernement social-démocrate en Allemagne ou travailliste en Angleterre, et l'évolution des grèves partielles et disséminées vers des mouvements de masse de plus en plus amples, auront comme conséquence infaillible (quand ça viendra !) le glissement à gauche d'une très grande partie du camp réformiste, tout comme les fluctuations intérieures en U.R.S.S. provoquèrent le gauchissement du camp centriste celui-là même dont Molotov fait partie.

A l'exception peut-être des éléments les plus conscients de l'aile droite (tels J. H. Thomas, Hermann Muller, Renaudel, Jouhaux, etc.) les social-démocrates et les gens d'Amsterdam seront bien contraints dans certaines circonstances de prendre eux-mêmes la tête du mouvement. Nous savons d'avance qu'ils ne le feront que pour mieux retenir ce mouvement dans les limites bien étroites ou pour frapper le prolétariat dans le dos dès que ces limites viendraient à être forcées ; mais bien que nous en avertissions ouvertement l'avant-garde prolétarienne, force nous est d'ajouter que des centaines et des milliers de fois, encore les communistes devront composer avec les réformistes jusqu'à prendre eux-mêmes l'initiative de pareilles ententes pour conserver la main sur la direction et rompre au moment précis où ces alliés peu sûrs viendront à trahir ouvertement. Cette politique sera surtout inévitable à l'égard de la social-démocratie de gauche, celle-là même qui, lors de la radicalisation des masses, est forcée davantage de se poser en antagoniste de l'aile droite jusqu'à devoir peut-être s'en séparer par une scission ouverte. Et cependant une telle perspective n'infirme en rien le fait que la tête de la social-démocratie de gauche est presque toujours composée des agents les plus corrompus et les plus dangereux de la bourgeoisie.

Comment pourrait-on, par exemple, se passer d'un accord pratique avec les réformistes dans le cas où ce sont eux qui assument la direction des grèves ? Si momentanément ces cas sont rares, cela tient au fait que le mouvement gréviste est encore faible et que les réformistes peuvent encore l'ignorer ou le saboter. Mais lorsque des masses de plus en plus importantes se verront entraînées, les ententes s'imposeront de part et d'autre. Même nécessité encore de composer avec les formations social-démocrates et avec leurs chefs eux-mêmes — plus vraisemblablement avec une partie d'entre eux — dans la lutte antifasciste. Cette dernière éventualité pourrait être plus proche qu'on ne croit, non seulement en Autriche, mais même en Allemagne.

Ainsi donc les directives du X° plenum s'avèrent être inspirées surtout par une mentalité d'opportunistes mortellement apeurés. Nous entendons déjà les Staline, Molotov et autres alliés d'hier de Tchang-Kaï-Chek, Wan-Tin-Weï, Pucell, Cook, Fimmen, La Follette, Raditch, s'écrier que l'opposition de gauche préconise le bloc avec la II° Internationale ! Mais ces exclamations n'empêcheront pas que lorsque la radicalisation des masses les prendra de nouveau au dépourvu, ces bureaucrates proclameront une "quatrième période" ou une "seconde phase de la troisième période" et que tous les Molotov se déclareront prêts à entrer "des deux pieds" dans la période d'expériences opportunistes genre "comité anglo-russe" ou "Kuomintang ouvrier et paysan"[10].

Ce raisonnement de Trotsky met aussi le doigt sur une autre faiblesse méthodologique de votre raisonnement qui porte le sceau de l’ontologie. Au lieu de faire le lien entre la politique concrète des réformistes et le développement réel du capitalisme, d’examiner les rapports de forces qui se développent entre les classes et les marges de distribution telles la bourgeoisie les opérées, vous fixez votre regard sur la "nature" ou le "caractère" de la social-démocratie et vous en déduisez, de manière abstraite, votre tactique. Ainsi, votre raisonnement devient une voie en béton armé et à sens unique. Il interdit de faire demi-tour. En revanche, Trotsky explique que, même chez les pires traitres réformistes, il n’est pas permis d’ exclure complètement de futurs mouvements (limités) vers la gauche - sans que pour autant ses chefs cessent d'être des traîtres. Trotsky tire la conclusion que les révolutionnaires ne peuvent renoncer au riche arsenal de la politique du FUO.

Permettez-nous de l’illustrer par deux exemples.

  1. Pendant la Quatrième République, à cause de la politique capitaliste qu’elle avait menée, la social-démocratie française a très fortement désenchantée sa base et, par conséquent, s’est fragmentée. Néanmoins, dans les années soixante-dix, sous la direction de Mitterrand, elle a réussi une nouvelle ascension. Grâce aux promesses de réformes et des illusions unitaires, elle a réussi à canaliser la radicalisation de la fin des années soixante et soixante-dix et de laisser de plus en plus le PCF derrière elle. Lorsque, au début des années quatre-vingt, Mitterrand et l'Union de la Gauche remportaient l'élection présidentielle, les foules dansaient dans la rue. Les premières réformes de son gouvernement se sont immédiatement heurtées à la résistance de la bourgeoisie qui, en raison de la stagnation économique, ne disposait plus des moyens pour pouvoir faire des concessions aux travailleurs. Mitterrand, le PS et le PCF ont immédiatement capitulé. Cela n’avait rien à voir avec un changement dans la nature de classe du réformisme. Les révolutionnaires ne pouvaient quand même pas s’attendre à autre chose. Toute autre issue était exclue. Toutefois, plusieurs organisations qui se revendiquaient de la révolution, et le lambertisme en particulier, ne s’y étaient pas préparées. Elles allaient sombrer dans une énorme crise politique avec toutes ses conséquences. C’était bel et bien la preuve que leur politique était erronée.
  2. En Allemagne, dès 1959, le SPD, dans son programme de Bad Godesberg, avait abjuré le socialisme et avait nié l'existence même de la classe ouvrière. C’était pour se convertir dans un « Parti populaire » (« Volkspartei"). Si on devait appliquer vos critères, le SPD aurait cessé depuis longtemps d’être un parti ouvrier bourgeois. Selon nous, l’exemple du SPD constitue un deuxième démenti de votre théorie. Quelque soit la « nature » que vous lui avez attribué, il a réagi vis-à-vis du processus de radicalisation qui avait commencé au milieu des années soixante. En 1969, il a gagné les élections grâce aux promesses de réformes radicales, «oser plus de démocratie », pour une « politique de paix ou de détente », pour une réforme des retraites, pour une réforme du système d’éducation, etc. Cette politique de réformes a également été très vite confrontée à une résistance énergique de la part de la bourgeoisie. En 1973, le SPD a capitulé sans livrer bataille. Il s’en suivait que Willy Brandt a été obligé d’abandonner son poste de chancelier. Ensuite, Helmut Schmidt, son successeur, a géré les affaires du capital. Une période de contre-réformes a fait son entrée sur scène allemande. Le SPD est entré en crise. Finalement, après que l'extrême gauche des années soixante-dix s’était enlisée dans le marais sectaire, on a vu la naissance des « Verts », qui, à l'époque, se présentait comme une alternative à gauche du SPD. En 1982 le capital considérait que le gouvernement d’Helmut Schmidt avait accompli sa mission. Il a dû faire la place à Helmut Kohl (CDU, démocrate chrétien), qui, sans aucune rupture, a poursuivi la politique du SPD.

Il a fallu 16 ans au SPD pour qu’il puisse, grâce à des promesses de réformes banales, à nouveau choisir le chancelier. Après six semaines, lors desquelles il avait annoncé de toutes petites réformes, le SPD a capitulé face à la résistance verbale du capital allemand. Oskar Lafontaine[11] s’en allait et Schröder a poursuivi sans difficultés la politique de Kohl. C’était une répétition de l’histoire.

Nous observons aussi que, depuis quelques mois, le SPD tente d’inverser le processus de son déclin en exigeant l'introduction d'un salaire minimum. Vu le processus rapide de paupérisation de la classe ouvrière, cette revendication n’est pas négligeable. Il s’agit même d’une question primordiale. Imaginons l’existence d’une organisation révolutionnaire, disposant d'un minimum d'influence de masse. Est-ce au niveau tactique, elle doit prendre en considération cette revendication ou non? Poser la question, c'est y répondre[12].

4. Gauche ou droite? Est-ce qu’il s’agit d’une distinction dépassée aujourd'hui?

Souvent nous avons constaté que vous —ainsi que le Groupe Bolchevik- niez avec véhémence qu’il y existe encore une différence politique pertinente entre les concepts de « gauche » et de « droite ». Vous faites référence à la constatation indéniable qu'il y a peu ou prou de différence significative entre la pratique des gouvernements dirigés par le PS et ceux dirigés par l’ l'UMP[13]. En soit, cette affirmation n'est pas fausse. Mais, au niveau tactique, elle ne résout pas vraiment le problème.

Depuis la chute des Etats ouvriers (bureaucratiquement dégénérés ou bureaucratiquement déformés dès le départ), la bourgeoisie impérialiste a mené une offensive idéologique. Elle affirme non seulement que le communisme est «mort», mais dans le même souffle elle nie l’existence de classes. Elle affirme qu’il n’existe plus que des groupes sociaux diffus et non-antagoniques et que les distinctions telles qui existaient entre la "droite" et la "gauche" sont désormais dépassées. Pourtant, dans le monde entier, ces distinctions ont une existence tenace. A notre avis, cela prouve qu’il doit y avoir quelque chose de plus de ce que la propagande bourgeoise essaye de nous faire croire.

Cette propagande bourgeoise se reflète, en quantité non négligeable, dans les « nouvelles » théories avancées par les directions traîtres du mouvement ouvrier. Ces théories s'efforcent de donner le coup de grâce à toutes expressions idéologiques populaires des contradictions de classes. Même si on peut objecter, à juste titre, que les termes dans lesquels ces expressions sont exprimés sont insuffisamment précis, il ne faut pas perdre de vue que les attaques dont elles font l’objet de la part des idéologues bourgeois sont, en fin de compte, un reflet de l’opposition fondamentale qui existe entre bourgeoisie et prolétariat.

Les directions actuelles du mouvement ouvrier répètent cette litanie comme un mantra. En Allemagne, "Die Linke" sont mêmes les plus zélés. C’est leur contribution à la lutte contre le développement d’une conscience de classe. Non seulement, ils ne se contentent pas de vouloir effacer toute trace de cette conscience, mais, en plus, ils mettent tout en œuvre pour la faire descendre en-dessous de son niveau actuel. Pour y arriver, ils renforçant la confusion, organise la désorientation et encourage la démoralisation. Leur but est d’atomiser chaque individu, pour que celui-ci se sente impuissant face à l'offensive bourgeoise et pour qu’il se soumette, sans combat, aux rapports sociaux qu’il est, en tant qu’individu, incapable de modifier.

Ce n’est pas un hasard que cette offensive idéologique s’accompagnent d’attaques incessantes contre les acquis sociaux arrachés dans le passé. S’il n’est plus question de "gauche" ou de "droite", alors toutes les acteurs sur la scène politique pourront prétendre agir pour le bien commun et cela au nom de la nation ou de l’ensemble de la société et où chacun doit apporter sa contribution, etc…

Les marxistes révolutionnaires ne doivent pas faire le jeu de cette offensive de la bourgeoisie. Bien sûr, il faut dénoncer audacieusement la politique réactionnaire de la social-démocratie. Cependant, cela ne devrait pas exclure que les marxistes, au niveau tactique, dans le cadre de leur possibilités, devront se saisir de chaque tournant à gauche, aussi minime soit-il, ainsi que toute concession que les sociaux-démocrates font aux intérêts et à l’humeur des masses. Cela implique aussi qu’il faut saisir à chaque fois l’occasion pour développer la prise de conscience des antagonismes de classe, d’approfondir celle-ci et aussi de promouvoir chez chaque salarié la fierté d’appartenir à la classe ouvrière.

5. Quelques réflexions supplémentaires sur l'histoire de la manière dont la politique du front unique ouvrier a été perçue dans le mouvement trotskyste: l’entrisme et l'adaptation au réformisme

a) L'échec de l’Internationale Communiste et la crise de la politique du FUO

L'échec de la Troisième Internationale comme organisation révolutionnaire du prolétariat mondial a aussi provoqué un approfondissement de la crise dans la tactique communiste envers le réformisme. Une politique de FUO envers la social-démocratie présuppose au moins l'existence d’un courant révolutionnaire en tant que minorité significative au sein du prolétariat.

Après la transformation du Comintern en instrument docile aux mains de la bureaucratie soviétique, ses sections, peu après 1933, passaient à leur tour à la politique réformiste du Front Populaire et défendaient le statu quo. Dans l'intérêt de cette politique, ils préservaient, en règle générale, l'ordre bourgeois, quoique le plus souvent sans liaison directe avec leur propre bourgeoisie. Avec la politique du Front populaire, le Comintern a définitivement rompu avec la prétention d’organiser l'unité de la classe ouvrière contre la bourgeoisie. Au lieu de cela, les Partis Communistes, au nom de l'anti-fascisme ou de la démocratie antimonopoliste, prêchaient l'unité avec des parties de la bourgeoisie. La stricte subordination de la politique des PC aux besoins de la politique étrangère de l’URSS et leur bureaucratisation ont conduit à ce que, dans un certain nombre de pays, de nouveaux processus de radicalisation ne sont plus traduits dans une croissance des PC stalinisés, mais se sont exprimés dans l’apparition de courants sociaux-démocrates de gauche ainsi que de courants centristes au sein des partis sociaux-démocrates.

b) La marginalisation des révolutionnaires marxistes

La position marginalisée des noyaux de cadres révolutionnaires du mouvement trotskyste, qui s’étaient à nouveau formé après la guerre, imposaient, dans ces conditions, à ceux-ci de non seulement partir à la recherche de nouvelles approches pour réaliser une politique de FUO mais les obligeaient aussi de cibler, comme objectif de leur politique révolutionnaire, d’acquérir de l'influence dans le processus de radicalisation qui se développait au sein des partis réformistes. Mais en même temps, cette politique, aussi juste que nécessaire, favorisait des déviations centristes et opportunistes dans l'application des principes de base de la politique du FUO. Il ne fait pas de doute que les militants entristes dans un parti réformiste, doivent formuler obligatoirement leur orientation stratégique sur la base organisationnelle du parti au sein duquel ils font l’entrisme.

L’abandon d’une certaine partie de leur indépendance organisationnelle, résultat de cette tactique, conduisait inévitablement à mettre en danger l'indépendance politique de ces petits groupes entristes. C'était un risque, lié aux circonstances, qu’ils ne pouvaient pas éviter s’ils voulaient se développer rapidement. Néanmoins, plus longtemps que duraient ces manœuvres particulières de la construction du parti, plus la tendance, chez un nombre non-négligeable de groupes entristes, se renforçait de commencer à théoriser leur adaptation aux forces centristes au sein des partis réformistes[14]. Ainsi, ils accordaient une « double nature » -à la fois bourgeois et prolétaire- à ces derniers. Un tel concept était clairement révisionniste. Au niveau théorique, il n’est rien d’autre qu’une mauvaise interprétation de la notion de « parti ouvrier bourgeois » ou celui de « parti ouvrier réformiste », basé sur la dialectique vulgaire.

Selon un des nombreux mythes et malentendus qui circulent au sein du mouvement trotskyste, Trotsky aurait été partisan de l’entrisme dans des partis réformistes en raison de leur « double nature ». Rien n’est moins vrai. Dans une lettre du 10-06-1935 et adressée au Secrétariat International, Trotsky écrivait:

« La S.F.I.O., non seulement n'est pas un parti révolutionnaire, mais elle n'est même pas un parti prolétarien. Elle est petite-bourgeoise, non seulement par sa politique, mais aussi par sa composition sociale. Ce parti nous a ouvert certaines possibilités, et il était juste de les avoir constatées et utilisées. Mais ces possibilités sont limitées. (…) Mais les ouvriers sont restés en dehors du parti socialiste : dans le parti communiste, dans les organisations syndicales et parmi les non-organisés. »[15]

Il est évident que la conception de Trotsky, selon laquelle il est néanmoins possible, et dans certaines situations historiques même nécessaire, de travailler ensemble avec et à l’intérieur d’un parti réformiste et le cas échéant de conclure des alliances, des fronts uniques avec lui, est incompatible avec les « critères » que vous utilisez pour déterminer la nature de ces parties. Vos « critères » ne servent qu’un seul bût. C’est celui de pouvoir justifier, une fois pour toute, votre rejet des tactiques de type FUO.

Trotsky était évidemment conscient des dangers que de tels tournants tactiques pouvaient créer. C’est pourquoi il arrivait à la conclusion qu’il fallait tenir compte des possibilités ainsi offertes et qu’il soulignait la nécessité de mettre fin à ces manœuvres dès que les possibilités qu’elles avaient offertes s’étaient épuisées.

c) La crise de la direction du mouvement trotskyste après la Seconde Guerre mondiale

Suivant la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre de la guerre froide, la crise de la direction du mouvement trotskyste mondial avait non seulement favorisé l'adaptation au titisme, au maoïsme et au stalinisme soviétique, mais -surtout lors du boom de l’économie impérialiste— aussi à la social-démocratie. L’élément principal de toute la politique du FUO, qui est le maintien de l'indépendance politique des révolutionnaires, restaient sur le carreau.

d) Le centrisme de Pablo dans la question du gouvernement ouvrier et paysan (1946)

L’article de Michel Pablo, écrit en 1946 et qui traitait du mot d’ordre transitoire du « gouvernement ouvrier et paysan », était non seulement symptomatique de cette adaptation centriste, mais annonçait cette évolution et de plus lui préparait la voie. Dans cet article, Pablo partait du point de vue que le mot d’ordre de gouvernement ouvrier et paysan devait être concrétisé dans tous les pays où les révolutionnaires étaient encore faibles et où les masses suivaient encore leurs directions traditionnelles. Dans le cas de la France, ce slogan devait être utilisé dans le sens d’exiger du PC et de PS (SFIO), ainsi que la CGT, qu’ils rompent avec la bourgeoisie et, en se basant sur les masses travailleuses, s’appliquent à imposer les intérêts de ces dernières. En ce faisant, les cadres révolutionnaires devaient propager un programme révolutionnaire de transition, exprimant ces intérêts:

 
 …« Nous disons: "Un gouvernement véritablement ouvrier qui a effectivement rompu avec la bourgeoisie commencera à appliquer ce programme" et nous faisons une propagande inlassable autour des revendications transitoires qui constituent ce programme et qui seules peuvent concrétiser pour les masses ce que veut dire rompre effectivement avec la bourgeoisie.
[16] (…) La revendication adressée aux Partis traditionnels: "Rompez avec la bourgeoisie, prenez le pouvoir" ne doit pas seulement s’accompagner de la propagande autour des revendications transitoires qui doivent constituer le programme du ''gouvernement ouvrier'', mais aussi de la propagande pour l'idée suivante: un gouvernement de ce type n'est possible qu’en sortant du cadre de la démocratie bourgeoise, qu’en appelant les masses à l'action révolutionnaire, qu’en les organisant dans des formations aptes à appliquer le programme ouvrier (…) Qu’un "gouvernement ouvrier" dans des conditions exceptionnelles puisse naître d’une combinaison parlementaire, cela n’est pas exclu… »[17].

En dépit de toutes les limites qu’il s’impose lui-même et de toutes les concessions qu’il fait à l'orthodoxie communiste, il est impossible de ne pas constater que Pablo avançait ici la position que les petites organisations révolutionnaires devaient exercer, à travers leur propagande, une pression sur les directions traditionnelles pour qu’elles rompent avec la bourgeoisie et ses revendications politiques.

Ici on s’engage, qu'on le veuille ou non, sur la voie de la réforme des directions traditionnelles et, par conséquent, dans la voie de la liquidation de l’idée-même de la reconstruction d'un parti révolutionnaire mondial. L’essentiel même manque dans cet article, à savoir une critique ouverte de ces directions, de leur refus de rompre avec la bourgeoisie, de leur sabotage, par principe, de la mobilisation des masses pour des objectifs révolutionnaires. On cherche aussi en vain cet avertissement selon lequel ces directions, en règle générale, se mettent seulement —et de façon ponctuelle— à la tête de la mobilisation des masses que pour mieux l’étrangler et que la construction de partis communistes révolutionnaires est la condition sine qua non pour la victoire de la lutte prolétarienne.

C’est la raison pour laquelle Trotsky affirme dans le Programme de Transition:

« L’accusation capitale que la IVe Internationale lance contre les organisations traditionnelles du prolétariat, c’est qu’elles ne veulent pas se séparer du demi-cadavre politique de la bourgeoisie. »[18]

La position de Pablo, qui allait estampiller la quasi-totalité du mouvement trotskyste d’après-guerre, n’aurait certainement pas reçu l’aval de Trotsky:

« Une pression venant de l'extérieur peut pousser un parti à franchir le pas ce qu’il n’aurait pas fait de sa propre initiative; mais elle est incapable de donner un caractère révolutionnaire à un parti qui se base directement sur des éléments non-révolutionnaires et antirévolutionnaires. (…) Nous devons les[19] aider à se compromettre définitivement[20] aux yeux de ces couches qui se situent entre les Cadets et les masses populaires. (…) »[21]

Pablo, à l’opposé de la politique de Trotsky, a fomenté des illusions dans la possibilité du réformisme de se réformer lui-même. Entre ses mains, le concept du FUO a été tellement mutilé qu’il s’est transformé dans une sorte de machine destinée à la création d’illusions centristes. Le désir d’unité des masses est abusé dans le bût de leur persuader que leurs dirigeants actuels pourraient se transformer en révolutionnaires à condition qu’elles (les masses) exercent une pression suffisamment forte sur eux. Déjà en 1946, cela était non seulement une révision totale de la politique du FUO mais aussi de l'analyse marxiste du réformisme —évidemment au nom d'une approche non-sectaire du réformisme— parce que dans le cadre des rapports de forces désavantageux entre les révolutionnaires marginaux et les réformistes tout-puissants, toute perspective pour un véritable gouvernement ouvrier était nul. Par conséquence le concept ne pouvait être concrétisé de manière utile.

e) 1e Digression: A propos de la grève générale de 1960/61 en Belgique et la politique d’Ernest Mandel

Comme on le sait, dans la période qui suivit le Troisième Congrès Mondial de la Quatrième Internationale, en 1952/53, celle-ci décida de pratiquer un « entrisme sui generis » (c'est-à-dire d’une nature spéciale) dans la plus puissante organisation ouvrière de leur pays. Il s'agissait d'un entrisme profond et de longue durée. Les militants furent même « encouragés» par leur propre direction de renoncer ouvertement à leur passé trotskyste, si celui-ci s’avérait être un obstacle à l'entrée dans les partis staliniens. La section belge qui avait été numériquement et politiquement affaiblie pendant la guerre à cause de la répression brutale des troupes d'occupation nazie, allait, sous la direction d'Ernest Mandel, se jeter corps et âme dans le Parti Socialiste Belge, qui dominait le mouvement ouvrier belge. Le Parti Communiste de Belgique qui, grâce à son rôle dans la Résistance, était devenu un grand parti, avait déjà fait les frais de sa participation aux gouvernements de «reconstruction nationale» d’après-guerre. Au fur et à mesure il s’était réduit à la petite taille d’avant-guerre.

La grève des mineurs dans le Borinage, début 1959, était le premier grand test pour le groupe entriste de Mandel. Déjà à cette époque, l’opportunisme et le manque de courage politique, qui caractérise ce courant politique, étaient flagrant. Par la suite, ces caractéristiques allaient s’accentuer davantage et jouer un rôle dévastateur lors de la grève générale historique de l'hiver 1960-1961[22].

Mandel était le dirigeant politique incontesté du journal « La Gauche », qu'il avait fondée en 1956. Son homologue en langue néerlandaise, « Links », avait été mis sur pied en 1958 et jouait, en comparaison, un rôle nettement moins significatif. Le courant de Mandel exerçait aussi une forte influence au sein de l'organisation de jeunesse de la social-démocratie, la Jeune Garde Socialiste/Socialistische Jonge Wacht (JGS/SJW).

Il faut savoir que pour des raisons historiques, le mouvement ouvrier en Belgique, jusqu'à la fin des années soixante, pesait beaucoup plus fort dans la partie francophone du pays, la Wallonie, qu’en Flandre où, à part certaines villes industrielles, subsistait un grand secteur agricole.

En 1960, la bourgeoisie belge devait faire face et aux problèmes que l'indépendance du Congo lui posait et à la stagnation de sa capacité concurrentielle sur les marchés européens. Elle décida de redynamiser l'économie belge sur le dos des travailleurs. Le gouvernement introduisait un projet de loi au Parlement, qui est entré dans l'histoire sociale du pays sous le nom de la « Loi Unique ». Pour appliquer ce projet, la bourgeoisie comptait sur la complicité des appareils bureaucratiques du mouvement ouvrier. Elle fut surpris par la volonté spontanée des travailleurs et travailleuses de se battre contre son projet. La classe ouvrière dans ce pays avait déjà accumulé une longue série d'expériences de grandes luttes.

Cinq jours avant Noël 1960, ce qui ne constitue pas le moment le plus approprié, la grève générale était déclenché et les ouvrières et ouvriers de Liège quittaient leurs usines. Il n'y avait ni direction centralisée ni aucun mot d'ordre convenu. Peu de temps après, ils étaient suivi par le reste de la classe ouvrière en Wallonie et par les travailleurs des grands centres industriels en Flandre. Le pays était complètement paralysé. Le gouvernement décidait d’appeler des troupes stationnées en Allemagne de l’Ouest à l'aide, pour qu’elles puissent, en collaboration avec la gendarmerie, maintenir l'ordre bourgeois.

Dans les manifestations de masse on réclamait le retrait pur et simple de la « Loi Unique » et la démission du gouvernement Eyskens[23]. Outre les appels à la grève générale, l'appel à une « Marche sur Bruxelles » se renforçait chaque jour. Ce deuxième mot d’ordre allait devenir le deuxième axe central du mouvement. Dans l'histoire du mouvement ouvrier belge, le mot d'ordre de « Marche sur Bruxelles » n'équivaut pas une petite promenade du dimanche ou une simple manifestation dans la capitale. Non, c’est au moyen de ce mot d’ordre que la classe ouvrière en lutte a toujours voulu exprimer sa détermination d’aller mesurer, dans la capitale, ses forces avec celles de la bourgeoisie et son État. Cet appel exprime les aspirations de la classe ouvrière de prendre elles mêmes les rennes du pouvoir. En d'autres termes : il s’agit d’un mot d’ordre dont le contenu témoigne de la volonté de la classe ouvrière de s’engager sur la voie de la lutte pour le pouvoir.

Le 24 décembre 1960, Mandel et La Gauche proposaient le programme suivant pour la grève:

« Les travailleurs refusent de payer à la place des fraudeurs du fisc.

Tous dans la grève dans tous les secteurs, toutes les régions, jusqu’au retrait pur et simple du projet capitaliste de "loi unique".

A sa place, les travailleurs imposeront des solutions socialistes:

  • 10 milliards (de francs belges ndlr) de réduction des dépenses militaires ;
  • Récupération de 10 milliards d’impôts fraudés par une réforme fiscale immédiate et radicale;
  • Le contrôle des holdings;
  • Service national de la santé: gratuité des soins médicaux et des produits pharmaceutiques ;
  • Nationalisation de l’énergie ;
  • Planification de l'économie pour garantir le plein emploi ;
  • Constitution d’une société nationale d’investissements purement publique avec une dotation immédiate de cinq milliards (de francs belges ndlr) »

Ce programme ne contenait aucune proposition qui expliquait comment et avec quels moyens il devait être réalisé. Comme chaque lecteur peut le constater aisément, il ne s'agit nullement d'un programme socialiste.

En fait, tous ces revendications sont parfaitement compatibles avec le maintien du système capitaliste. Au-delà des frontières belges, plusieurs pays européens, comme l’Angleterre, la Suède etc…, avaient déjà mis en pratique plusieurs de ces revendications. Contrairement aux affirmations de Mandel, il ne s'agissait aucunement d'un système de mots d’ordre transitoires. En fait, il s’agissait du programme de la Fédération Générale des Travailleurs Belges (FGTB/ABVV, le syndicat social-démocrate), qu’elle avait adopté en 1946, juste après la Deuxième Guerre mondiale, et qu’elle avait réaffirmé lors de deux congrès syndicaux extraordinaires tenu respectivement en 1954 et en 1956.

En guise de rappel: après la Deuxième Guerre mondiale avec tous ses horreurs jusque-là inconnues, presque toutes les organisations « officielles » du mouvement ouvrier étaient d’avis que pour sauvegarder la domination capitaliste, il fallait, aussi bien dans les discours que sur le papier, reconnaître la nécessité du socialisme et de l’expropriation de certains capitalistes qui, en raison de leur collaboration avec les Nazis, s’étaient complètement discrédités aux yeux de la population. Evidemment, la pratique s’est avéré être bien différente. André Renard[24] et son courant, qui avaient fait leurs premiers pas sous l’occupation nazi, ne pouvaient que constater qu’une fois le capitalisme à nouveau remis en selle, la social-démocratie ne tardait pas à glisser continuellement à droite. En réponse à cette évolution, Renard et les siens avaient repris les anciens objectifs de la FGTB et les ont utilisés comme véhicule dans leur combat contre l'aile droite de la social-démocratie[25].

Chaque mouvement de masse, qu'il soit spontané ou non, a besoin d'une direction politique résolue et de perspectives politiques claires et correctes. Ensuite, cette nécessité se développe au fur et à mesure que le mouvement de masse s’élargit et s'approfondit. Le rôle des révolutionnaires est, entre autres, d'offrir des objectifs qui dépassent les considérations tactiques du moment et pas seulement de se réjouir du haut niveau de la spontanéité dont font preuve les ouvrières et les ouvriers. Il est de la plus haute importance de mettre tout en œuvre pour hausser le niveau de la conscience de classe et de jeter ainsi les bases pour l’émergence d'une nouvelle direction du mouvement ouvrier. Chaque mouvement de masse se heurte inévitablement au problème de la crise de la direction historique du mouvement ouvrier. La seule voie positive pour résoudre ces problèmes, consiste à mettre en avant un programme de revendications transitoires, qui permettra à la classe ouvrière de poser clairement la question du pouvoir. On ne peut pas reprocher aux révolutionnaires de ne pas avoir réussi complètement l’accomplissement de cette tâche. Toutefois, ce que l'on peut leur reprocher, c’est de ne pas avoir tout fait ce qui était dans leur pouvoir pour réaliser cet objectif.

Des bureaucrates qui, comme André Renard, n'avaient pas encore perdu la confiance des travailleurs, ont tout mis en œuvre pour canaliser le mouvement, pour étouffer son potentiel révolutionnaire et à préparer le retrait, afin de retourner le plus rapidement possible à leur routine quotidienne. Ils n’ont pas agi de cette manière parce qu’il s’agissait de personnes méchantes. Non, c’est qu’au delà de leurs d'intérêts prosaïques, ils leur manquaient toute vision politique.

En 1960/1961, le groupe entriste de Mandel se trouvait dans une excellente position pour résoudre, au moins partiellement, le problème de la construction d’une direction alternative. Malheureusement, le groupe n’a pas été à la hauteur de cette tâche et il a raté l’occasion.

Du point de vue de « La Gauche », il s'agissait de développer un courant au sein de la social-démocratie et non pas de lutter pour la construction d’un noyau marxiste discipliné et décidé, qui, le moment venu, ose prendre des initiatives audacieuses.

Cela ne veut pas dire que Mandel n’aurait pas appelé à la grève générale et à une marche sur Bruxelles. Non, mais au moment décisif, il a capitulé devant les appareils et, plus tard, il a essayé à brouiller les traces de cette faille. Son groupe s’est abstenu de mettre en avant ces mots d'ordre ou d'autres revendications dans l’objectif de proposer la formation de comités de grève au niveau local, régional et national et qui auraient pu suivre une politique indépendante des bureaucrates syndicaux et de la social-démocratie. La Gauche n'a pas avancé « un congrès national des comités locaux de grève ». La question d'un gouvernement ouvrier n’a pas été martelée sans relâche. Non, Mandel et les siens ont préféré de forcer la création d'un courant de base, dont la mission était de pousser les vieux dirigeants davantage vers la gauche. Pour eux, la tâche du moment était de faire reprendre les revendications de La Gauche par ces mêmes vieux dirigeants.

Déjà AVANT la grève, les Pablo-Mandeliens sont allés très loin dans cette voie. Dans l'édition de La Gauche du 17-12-1960, ils ont tenté d’avancer un mot d’ordre transitoire, même s’il y était mal formulé. Ils ont appelé à un gouvernement des travailleurs basé sur les syndicats, c'est-à-dire un gouvernement de la FGTB/ABVV socialiste avec les syndicats chrétiens de la CSC/ACV. Les 2 centrales syndicales, chacun à sa façon, agissaient de leur mieux pour casser la grève. Ce gouvernement des travailleurs devait mettre en œuvre les objectifs suivants: retrait de la loi unique et l'application d'un certain nombre de réformes de structure. Pour Mandel, cette optique n’était pas en contradiction avec un gouvernement qui devait se baser sur une nouvelle majorité parlementaire. Compte tenu que la social-démocratie belge ne disposait pas une majorité parlementaire,

« Il suffirait que les députés démocrates-chrétiens (c’est à dire ceux qui sont directement liés aux syndicats chrétiens ndlr) écoutent la voix de leurs propres électeurs, qu’ils s’alignent, sous la pression de la grève, sur les aspirations de leurs propres mandants, pour qu’une nouvelle majorité parlementaire se dégage au moins sur ces deux questions : retrait de la loi unique, vote d’une loi-cadre sur la réforme fiscale et les réformes de structure.»[26]

Clairement, Mandel confondait ici un gouvernement issu d'une mobilisation des masses avec un gouvernement qui est le résultat d'une coalition parlementaire.

Depuis le début de janvier 1961, Renard avançait la proposition de « l’abandon de l’outil de travail », c'est-à-dire l’abandon des hauts-fourneaux. En d'autres termes, Renard appelait les ouvriers à détruire eux-mêmes leur emploi. Peut-être que cela puisse paraitre comme étant radical, mais en fait il s'agissait d'une proposition réactionnaire. A aucun moment, La Gauche ne s’est opposée à cette proposition de Renard. Bien au contraire! A cela il faut ajouter que les renardistes, qui aux yeux de Mandel continuait à être des centristes, utilisaient ce mot d’ordre comme un fer de lance contre la Marche sur Bruxelles. Lorsque les Renardistes, sous les applaudissements des staliniens, cassaient le mouvement en deux en avançant des thèses nationalistes (ce qui revenait non seulement à la revendication du « socialisme» dans un demi-pays, mais qui rendaient aussi les ouvriers flamands responsables pour les maux provoqués par le capitalisme en Wallonie), les pseudo-trotskystes de La Gauche n’avaient non seulement toujours pas retrouvé leur courage politique pour rompre avec les rédacteurs de la Gauche qui s’opposaient au groupe de Mandel et qui jouissaient du soutien des renardistes mais non plus de casser les liens avec Renard lui-même. Cela allait avoir de graves conséquences.

À partir de son numéro du 14 Janvier 1961, La Gauche cessait de mentionner le mot d’ordre de la Marche sur Bruxelles. Face aux accusations de la part des appareils contre-révolutionnaires d’agir de manière irresponsable et provocatrice, Jacques Yerna, qui n’appartenait pas au groupe Mandel, répondait, au nom de la Gauche, à ses détracteurs:

« Nous ne pouvons… rester indifférent devant l’avis publié dans le Monde du Travail[27] et La Wallonie[28]. Il nous est reproché d’avoir lancé le mot d’ordre d’une marche sur Bruxelles, alors qu’unanimement les dirigeants du Mouvement[29] s’y étaient opposés… Comme nous constatons aujourd’hui que cette revendication n’a pas été reprise par les dirigeants, nous nous inclinons, mais nous rappelons qu’au moment où notre annonce de la semaine passé a paru, aucune indication n’était encore connue à ce sujet… »

Après s’être aligné sur Renard & Co., la seule voie qui restait donc ouverte à Mandel était celle de protéger les dirigeants renardistes sur leur flanc gauche lorsque ceux-ci appelaient, le 21 Janvier, les derniers grévistes à Liège de reprendre le travail en leur promettant de mener la lutte sur un autre niveau.

En 1964, l'appareil social-démocrate du PSB/BSP montrait, à sa manière, sa gratitude envers La Gauche en excluant les collaborateurs de celui-ci. Toute une série de gens autour de La Gauche ainsi que le journal-frère flamand, Links, se sont alors détournés de Mandel et ont choisi de rester dans les rangs de la social-démocratie, où ils ont continués à jouer à l’opposition de sa majesté.

Nous ne pouvons nous empêcher de constater que ni La Gauche, ni Mandel, ni son organisation n’ont représentés à ce moment une éventuelle direction de rechange dont la classe ouvrière avait tellement besoin. Pire encore, ils ont cédés devant la pression des appareils de peur d’être exclu de la social-démocratie et de se trouver isolé de la soi-disant aile gauche de la FGTB. Ce sont là les fruits amers de l’ «entrisme profond».

Nous sommes également obligés de constater que Mandel & Co. n’ont jamais tirés les leçons de la défaite de la grève générale devant l’opinion publique des travailleurs belges afin de leur permettre, ou du moins à leur avant-garde, d’éviter à l'avenir de commettre les mêmes erreurs. En plus, ils n’ont eux-mêmes jamais fait un bilan critique de leur comportement politique. 

Toutefois nous ne voulons pas cacher à nos lectrices et lecteurs que Mandel, sous le pseudonyme de Pierre Gousset, a réussi à se critiquer lui-même. Malheureusement, ces perles de sagesse, étaient avant tout destinées à un public étranger, en premier lieu à ses camarades français, qui, compte tenu de la politique suivi par Mandel, se posaient évidemment des questions. Gousset critiquait d’un point de vue « marxiste » les erreurs et les subterfuges de son autre « moi » belge. Encore un autre alias de Mandel, Ernest Germain, ne s’est manifesté qu'après la grève générale. Cette duplicité d’un courant politique, qui se caractérise lui-même comme trotskyste, mais que l'on peut seulement qualifier de révisionniste, ne pourra être une surprise pour vous. De même que l'Eglise catholique, le pablo-mandelisme distribue la bonne parole, une fois à sa droite, une autre fois à sa gauche.

f) 2ème digression: les tendances d'adaptation des trotskystes ouest-allemands pendant leur entrisme profond au sein du SPD - une critique de D. Wilhelmi

Le concept de l’entrisme profond de Pablo a été mis en pratique, au moins pour quelque temps, dans plusieurs pays par tous les courants de la IVe Internationale en crise (y compris par le Comité International après la scission de 1953). Après une critique explicite que Trotsky avait déjà formulée, lorsqu’il voyait apparaitre de tout petits signes avant-coureurs de ce concept dans les années trente, presque personne n’avait osé de le théoriser. Le centrisme franc évite la théorie. Le trotskisme allemand était l’exception à la règle.

En 1980, Dieter Wilhelmi a tiré un bilan critique de l’entrisme profond en Allemagne. La théorie et la pratique de cette manœuvre sont restées un livre fermé d’une histoire non-écrite pour la génération qui avait adhéré au Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale[30] après 1968:

« A cette époque[31], Michel Pablo avançait la thèse selon laquelle les appareils staliniens, confrontés à une " guerre froide" ininterrompue et devant faire face à une troisième guerre mondiale qui se rapprochait rapidement, seraient obligés d’abandonner leur politique droitière-opportuniste, qui leur convenait bien. Ils seraient obligés d’approfondir un " tournant à gauche" qu’ils avaient entamé suite au déclenchement de la "guerre froide". Par conséquence, des "tendances centristes" devraient l'emporter au sein du stalinisme et, enfin, comme en Yougoslavie et en Chine, poursuivre une orientation révolutionnaire. Même la transformation de fond en comble de la nature des partis staliniens n'était pas exclue! Les trotskystes, par leur travail dans ces tendances, devaient accélérer ce développement. [32]

La possibilité d'une auto-réforme du stalinisme, qui est esquissée ici, ne pouvait conduire qu’à des conclusions liquidationistes - et elles y ont conduites!

Certes, Trotsky avait indiqué dans le Programme de transition que des directions petite-bourgeoises (y compris les staliniens) pouvaient, dans des conditions historiques particulières, encore se trouver à la tête des masses au moment du renversement du capitalisme. Cependant il avait souligné que ces directions ne pourraient changer leur nature et qu’elles allaient devenir obligatoirement un obstacle directe à la continuation du développement de la révolution permanente (une politique national-bureaucratique, l'oppression de la classe ouvrière, etc.) Les tâches de la révolution mondiale prolétarienne, l'approfondissement du processus révolutionnaire lui-même (démocratie des conseils, etc.) exigeait donc dans tous les cas l'existence d'un parti trotskyste indépendant en tant que section de la IVème lnternationale.

En 1952-1953, la révision du programme trotskyste par Pablo et ses méthodes organisationnelles ont provoquées la scission de la IVe Internationale. Cette séparation fut partiellement rescindée en 1963.

La réunification de la plus grande partie du mouvement trotskyste ne s’est pas faite sur base d'un débat de fond sur les questions politiques, qui étaient à l’origine de la scission au début des années 50. Seule la thèse d'une éventuelle auto-réforme du stalinisme a été abandonnée. Ainsi, la nécessité de la révolution politique contre la bureaucratie dans les Etats ouvriers dégénérés et déformés a aussi été confirmée.

A plusieurs reprises, le manque de clarification des anciennes divergences n’allait pas tarder de se manifester rapidement. Le début de la révolution culturelle chinoise, qui était d’abord un conflit à l’intérieur même de la bureaucratie où différentes fractions de la bureaucratique étaient à la recherche d’une base plébiscitaire dans les masses, a démontré l’existence d’énormes illusions dans une partie de la bureaucratie. La fraction de Mao a reçu un soutien "critique". Seule, la Fraction léniniste-trotskyste (FLT), et antérieurement le SWP et la direction de l’actuel PST[33] d’Argentine, ont défendu la position trotskyste; selon laquelle toutes les fractions de la bureaucratie étaient contre-révolutionnaires. Les développements ultérieures leur allait donner que trop rapidement raison. La fraction de Mao au sein du PC chinois a utilisé immédiatement l’armée contre les Gardes Rouges qui échappaient au contrôle de la bureaucratie. Officiellement, les jeunes révolutionnaires ont été bannis à la campagne dans le but précis de leur désapprendre « la conscience prolétarienne ».

Les illusions dans le mao-stalinisme ont eu des conséquences désastreuses. Particulièrement en Europe de l'Ouest, un processus de très forte adaptation aux groupes mao-staliniennes a eu lieu. En Italie, à la fin des années 60, cela a conduit à la perte d'une grande partie de la section qui a vécu le « mai rampant » dans un état de paralysie politique et organisationnelle. En général, ce qui n’était pas compris c’est que la politique contre-révolutionnaire du stalinisme avait, depuis toujours, deux visages: un ultra-opportuniste et un autre ultragauchiste et sectaire, qui, en utilisant une phraséologie pseudo-révolutionnaire et des manœuvres scissionnistes, tenta et tente d’amener les mouvements révolutionnaires des masses dans une impasse !

La majorité du Secrétariat Unifié (SU) ne se laissait pas troubler par les faits. Sans cligner les yeux, la majorité écrivait que la victoire des masses vietnamiennes était due à la direction stalinienne, alors que ces mêmes masses avaient déjà engagé cette lutte sans les staliniens et qu’elles l’avaient aussi conduit à terme contre la volonté expresse de la direction stalinienne. Cette dernière était elle-même surprise par la rapidité avec laquelle le régime de Thieu a été chassé. Au Portugal, les illusions dans le stalinisme pseudo-révolutionnaire devaient également conduire à une politique d’adaptations aux manœuvres de division du PC au lieu de mener une politique révolutionnaire de FUO. Les jeunes camarades portugais étaient placés directement sous les ordres des émissaires du SU, plus exactement de la Tendance Majoritaire Internationale. Ainsi, au Portugal, la social-démocratie a su entraîner le mouvement de masse sur le chemin du parlementarisme sans que les trotskystes n’aient pu l’empêcher. Entre-temps, le SWP a capitulé devant ces mêmes illusions, que son ancienne direction avait auparavant si fortement combattues dans le cadre de la Fraction Léniniste-Trotskyste. Elle attribuait même un rôle révolutionnaire à la bureaucratie à Cuba et en Afghanistan.

"Entrisme et centrisme"

Lors de l’unification partielle du mouvement trotskyste en 1963 la discussion sur l’ "entrisme", le travail dans les partis staliniens et sociaux-démocrates, a été "exclus" de la discussion, c'est-à-dire ni discuté ni remis en question. En fait, la discussion débordait le cadre des seules questions «tactiques» ou «stratégiques» dans la construction du parti. La perspective stratégique de l’« entrisme sui generis », qu’on appelait « entrisme profond » en Allemagne de l'Ouest, se basait sur une révision substantielle du programme trotskyste. Il s’agissait de révisions qui, jusqu'à présent, n'ont pas été surmontées dans le GIM[34].

Comme par le passé, on tablait sur une scission au sein des appareils du mouvement ouvrier. On s’attendait aussi à ce que les partis sociaux-démocrates de masse allaient effectuer un virage à gauche, d’où allait se produire une différentiation au sein de l’appareil.

Au départ, tout cela fut justifié et masqué par le fait qu’on ne parlait exclusivement que de mouvements de masse réformistes ou centristes. Ces « mouvements de masse » devaient émerger à l'intérieur mêmes des partis politiques traditionnels du mouvement ouvrier.

Déjà ici, on ne faisait plus aucune distinction entre les masses, qui tendaient vers des objectifs révolutionnaires, et leur direction. De leur côté, ces directions devaient être poussés à jouer le rôle d’une direction révolutionnaire.

« Les forces marxistes-révolutionnaires travaillant au sein des organisations social-démocrates ou réformistes de masse œuvrerons au renforcement de ces tendances, leur donnant confiance en elles-mêmes, les poussent à promouvoir la nécessité de la constitution soit de gouvernements socialistes exclusifs appliquant un véritable programme anti-capitaliste minimum, soit des gouvernements communistes-socialistes —selon les rapports de forces concrets au sein du mouvement ouvrier dans chaque pays, et à propulser une lutte effective pour de tels gouvernements. »[35]

La tâche était donc d’entrainer des fractions de l'appareil, des opportunistes et des centristes à jouer le rôle de direction révolutionnaire. La IVe Internationale devait être réduite au rôle d’un "groupe de pression" au sein de ces directions. Une lettre de 1953, la direction de la section allemande ne laissait plus planer aucun doute:

« Tu seras étonné de savoir combien d'ex-militants de la gauche du SAP[36] ou des camarades qui n’ont rompu qu’au cours de ces dernières années avec le PC, occupent actuellement des fonctions au niveau moyen et élevée, parfois même au plus haut niveau, au sein de la DGB[37]. Bien sûr, une partie de ces gens sont aujourd'hui corrompus et sont descendus au niveau de renégat. La majorité d'entre eux n’a pas coupé le cordon ombilical [avec la classe ouvrière ndlr] et a gardé sa conscience de classe prolétarienne. Notre critique de la politique de la direction du Parti [= le SPD ndlr] et notre pratique de lutte pour "les masses dans le parti" correspond à leurs propres pensées, et ils sont très vite réceptif à nos idées et à notre travail.»

Aujourd'hui, on ne peut que s'étonner de voir le degré d’illusions qui existaient dans les centristes et les opportunistes. La pratique a clairement démontré que ces forces n’ont jamais joué un rôle progressif dans le développement de la lutte des classes. L'échec total de l’entrisme profond a prouvé d’une façon éloquente que les centristes ne jouent qu'un seul rôle: celui de garder les masses dans le cadre du capitalisme ou, encore, celui de les y ramener.

Au Quatrième congrès mondial du « Secrétariat International », un camarade affirmait dans son rapport que «l'impossibilité à atteindre même les objectifs réformistes par la voie de la tactique parlementaire ou par la voie de la négociation, poussent les dirigeants réformistes sur la voie de la lutte ».

Ainsi, on évita de tirer la conclusion qui découlait du constat qu’à l'époque de l'impérialisme, la politique réformiste a perdu tout le support économique dont elle a besoin pour mettre en œuvre ses réformes et que cette situation ouvrait la voie à un combat plein de promesses pour l’avenir (c'est-à-dire pour la construction du parti révolutionnaire et contre les dirigeants réformistes tel que Trotsky l’avait exposé dans son article "Les syndicats à l'époque de la décadence impérialiste"). Bien au contraire, on attribue la direction de la lutte expressément aux réformistes de « gauche ». Ainsi, on combat le trotskysme au nom même du trotskysme. Dans l’exposé du camarade Jungclas[38], mentionné ci-dessus, cette perspective a été résumée rétroactivement de la manière suivante:

« Le processus de radicalisation ... va porter la radicalisation au sein du SPD, elle y va donner naissance à une différenciation entre les masses et le parti et à l'intérieur même de l'appareil, ce qui créera les conditions pour la formation d'une aile gauche large, reconnue par les grandes masses comme étant la force qui se bat pour la direction du parti et des syndicats. A travers une participation active, une politique correcte, dès le début de ce processus, et avec des objectifs clairs, les cadres (il s'agit ici de cadres trotskystes ndlr) pourront occuper une place importante dans cette aile gauche et ainsi ils pourront fusionner avec la vraie avant-garde de la classe … »

Une partie de l'appareil, plus spécifiquement son aile "gauche", serait donc la condition préalable pour la formation d'une aile gauche qui lutte pour devenir la direction du Parti et des syndicats. Il s’ensuit que les trotskystes doivent s’insérer dans la direction centriste, doivent s’intégrer dans la fraction gauche des appareils et lutter ensemble avec celles-ci pour la direction. 

Les trotskystes ne luttent pas coude à coude avec l'appareil. Ils se battent, par principe, avec la classe ouvrière contre tous les appareils au sein du mouvement ouvrier, même lorsque certaines de ses fractions peuvent faire semblant d’être tellement progressiste. La mobilisation de la classe ouvrière pour la réalisation de ses revendications n’est pas possible sans un combat victorieux contre les appareils, y compris ses fractions réformistes ou centristes.

L'existence des appareils, qui vivent de la domestication de la classe ouvrière, est incompatible avec une classe ouvrière mobilisée et combative. C'est la raison pour laquelle une « coexistence pacifique » entre marxistes et centristes est impossible.

La méthode sur laquelle l’« entrisme sui generis » a été construit, n'a pas été surmontée. Cette méthode comporte des révisions fondamentales du programme trotskyste. Si elles ne sont pas écartées, la construction du parti sera renvoyée aux calendes grecques.

Parmi ces révisions on retrouve tout d’abord la révision de l'analyse marxiste de la nature du stalinisme et de la social-démocratie. Cette orientation stratégique conduisait nécessairement à une adaptation aux positions centristes. Mais les choses n’en restaient pas là. Le point de départ de cette politique était l’abandon de la construction du parti, c'est-à-dire la négation d'un parti révolutionnaire. Au lieu des trotskystes, des centristes, des fractions "gauche" de l'appareil devraient se trouver à la tête des masses. Dans cette logique, comme seul but avoué, les trotskystes n’avaient qu’à s’occuper de postuler pour une position en tant que conseiller pour une direction réelle, sous le contrôle des centristes. Dans le meilleur des cas, ils devaient jouer le rôle de sage-femme lors de la naissance de partis centristes.

Ainsi, même s’il est correct d’exiger de la part des directions actuelles d’organiser le combat, il est d’autant plus important que les marxistes attirent l’attention des masses sur le fait qu’elles doivent, à tout moment, compter avec la trahison de ces mêmes directions. D’ailleurs, c’est pour cette même raison, que les masses doivent s’organiser en opposition à ces directions et qu’elles doivent se rendre compte que les directions n’agissent sous leur pression et encore de manière insuffisante et hésitante! A aucun moment, elles ne doivent pas perdre de vue qu’à n’importe quel moment ces dirigeants sont prêts à conclure des compromis pourris. Des directions semblables ne peuvent offrir aucune perspective aux travailleurs, aux jeunes et aux femmes en lutte. C'est la raison pour laquelle il faut sans tarder un parti révolutionnaire. La politique du FUO et la lutte ouverte pour la construction du parti vont de pair. Elles ne peuvent jamais être séparées !

Force est de constater que c’était précisément cette orientation qui était à la base de l’entrisme profond. La conséquence en était que ni la politique du FUO, ni la construction du parti, ne furent réalisé.

Aujourd'hui, les propagandistes de l’ «’Alternative socialiste »[39] essaient de convaincre la « gauche »[40] d’avoir une attitude moins sectaire vis-à-vis de la social-démocratie. La « gauche » - ou plus récemment le « bloc réformateur » — devrait mener une politique correcte, tandis que les trotskystes eux-mêmes devraient y renoncer et que les super sectaires détiendraient la majorité dans leur propre organisation.

Auparavant, il s’agissait de souder la « gauche révolutionnaire » au moyen d’actions unitaires dans le bût d’entrainer les masses dans l’action révolutionnaire, tout en contournant les appareils.

Ainsi, pour autant que les orientations aient pu être différentes, et elles l’étaient au niveau des détails, pour autant une chose est resté inchangée : la méthode. On est à la recherche de forces qui devraient diriger les masses à la place des marxistes. La construction du parti est laissée sur le côté. La règle est et restera : il faut s'adapter.

La révision de la tactique du Front unique ouvrier

L'adaptation aux centristes, aux sectaires et aux ultra-gauches revête cependant encore un autre aspect: elle va, par principe, toujours de pair avec le rejet du FUO, qui constitue l’axe central de la conquête des masses et pour la construction du parti révolutionnaire!

« La tactique du front unique signifie que l’avant-garde communiste doit être à la pointe des luttes quotidiennes des larges masses laborieuses pour leurs intérêts vitaux. Dans ces luttes, les communistes sont mêmes prêts à négocier avec la dirigeants traitres de la social-démocratie et d’Amsterdam.»[41] [42]

La politique du FUO signifie l'organisation de la lutte des masses contre la bourgeoisie, y compris au moyen d’une coopération avec les réformistes et les centristes lorsque le combat commun l’exige.

La pratique des communistes ne peut être basée que sur la formulation des besoins et des intérêts de la classe ouvrière et des classes opprimés et sur rien d’autre. Point. C’est, entre autres, sur cette base qu’il faudra, dès que les conditions s’y prêtent, organiser la pression sur les directions traditionnelles des masses. Même quand les centristes reprennent l’une ou l’autre revendication des masses, les marxistes restent sous l’obligation de les mettre en garde contre ces mêmes directions.

L'histoire a déjà prouvé que les centristes, tout comme les réformistes, reprennent les revendications des masses seulement pour pouvoir mieux les trahir:

«Les partis et les groupes centristes de l’Internationale 2 ½ ne se montrent pas moins hideux que les partis de la contre-révolution »[43]

« En pratique elle (l’Internationale 2 ½ ndlr) n’aide pas seulement la classe capitaliste dans chaque pays en cultivant l’esprit d’indécision dans la classe ouvrière ».[44]

C'est la raison pour laquelle

«…la tâche des communistes consiste à préparer d’avance les masses ouvrières à une trahison possible de Partis non communistes pendant l’une des stades ultérieures du combat, à tendre le plus possible la situation et à l’aggraver afin d'être capable de continuer, éventuellement seul [45], le combat »[46].

« Le Comité Exécutif stipule, comme condition rigoureusement obligatoire pour tous les Partis Communistes, la liberté, pour toute section passant une convention quelconque avec les partis de la II° Internationale et de l'Internationale 2 1/2, (de maintenir son autonomie absolue et son indépendance totale) et de continuer (en toute liberté) la propagande de nos (ses) idées et la critique des adversaires du communisme. Tout en se soumettant à la discipline de l'action, les communistes doivent absolument se réserver le droit et la possibilité d'exprimer, non seulement avant et après, mais encore pendant l'action, leur opinion sur la politique de toutes les organisations ouvrières sans exception. En aucun et sous aucun prétexte, cette clause ne saurait souffrir d'infraction. En préconisant l'unité de toutes les organisations ouvrières dans chaque action (pratique) contre le front capitaliste, les communistes ne peuvent renoncer à la propagande de leurs points de vue qui, seuls, constituent l'expression logique des intérêts de l'ensemble de la classe ouvrière.»[47]

Nous avons déjà démontré dans la section précédente que l’«entrisme sui generis » équivaut en principe à la renonciation à l'unité de classe prolétarienne. Ce qui y était prépondérant n'était pas l'action indépendante de classe, mais la coopération avec les centristes et une partie des appareils du mouvement ouvrier. En fait, cette perspective n’était rien d’autre que l'abandon…du droit de critiquer la politique équivoque du centrisme:

« De cet exposé, il ressort clairement pourquoi nous considérons aujourd'hui que tout débat principiel au sein du SPD comme étant inutile et dangereux. »[48]

La politique du FUO ne pouvait donc plus être mise en pratique. Elle devait être révisée conformément aux besoins de l'intégration au sein de la social-démocratie.

Pour les entristes profonds cela voulait dire:

« Alors que nous éduquons les masses à prendre les réformistes au mot et à mener le combat pour des réformes et les revendications du jour jusqu'au bout pour dépasser les objectifs limités du réformisme, nous développons le mouvement de classe nécessaire... »[49]

Comme on le peut constater, ce n’est pas seulement la critique du réformisme et centrisme qui manque ici. Non, aussi le point de départ de la politique du FUO, c’est-à-dire les intérêts et les besoins de la classe ouvrière, est abandonné.

La politique du FUO signifie la mobilisation des masses sur base de leurs besoins, de leurs intérêts et de leurs revendications. Certes, les réformistes et les centristes partagent aussi ce point de départ, mais ils formulent les revendications de telle manière que les luttes puissent à nouveau être intégrées [dans le cadre existant, ndlt]. C’est pour cette raison que les réformistes et les centristes ne représentent pas les intérêts de la classe ouvrière mais, à l’intérieur du mouvement ouvrier, ceux de la bourgeoisie.

Les marxistes n’exigent pas d’eux qu’ils appliquent leur programme réformiste ou centriste. Dans leur politique d’éducation des masses ils y doivent inclure que ces forces finiront inévitablement à trahir! Les marxistes exigent des directions de masses qu’elles réalisent les revendications des ceux-ci. Non pas parce que ces directions adopteront ces revendications comme les leurs. Non, au contraire, les réformistes et les centristes mènent et mèneront une politique qui vise justement à éluder la satisfaction des revendications. Les marxistes s’adressent à ces directions parce les masses leur font toujours confiance.

La possibilité et la nécessité d’une politique du FUO, y compris vis-à-vis de ces dirigeants, découlent de leur rapports spécifiques avec la classe ouvrière et non de leur rhétorique radicale. Sinon, l'application de politique du FUO dépendrait du degré de radicalité des discours provenant des agences de la bourgeoisie à l’intérieur du mouvement ouvrier.

Mais c'est précisément cela qui constitue l’essence de la pratique des entristes profonds:

« Le SPD n'est pas un parti socialiste. ... C’est la raison pour laquelle il est donc insensé pour la gauche d’essayer, au sein et en dehors de parti (dans la mesure où des forces sérieuses sont encore présentes à l’extérieur), d’entamer une critique de la politique du SPD sur ce point. On ne peut pas exiger une politique socialiste de la part d’un parti non-socialiste, comme on ne peut pas lui demander [d’avoir ndlt] un programme socialiste. ... C'est la raison pour laquelle il est erroné de croire qu’il faut nécessairement disposer d'une tactique dans le but de démasquer le SPD, en particulier sa direction, aux yeux des masses ouvrières. »[50]

Par conséquent, 1957 a été la dernière élection au Bundestag, au cours de laquelle nous avons appelé à voter SPD, car après Bad Godesberg[51], il n’y avait, selon ce point de vue, plus aucune base pour mener une politique du FUO au niveau électoral:

« Le programme de Bad Godesberg constitue l’ultime remise en question des dernières restes de la pensée social-démocrate. C’est le plein attachement à la démocratie bourgeoise qui a pris la place de la vieille notion ”d’arriver au socialisme par des réformes et par la démocratie” ».

C’est dans ces termes que G. Jungclas a décrit la portée du programme de Bad Godesberg.

Jungclas venait à la conclusion que "déjà depuis 1914, c’était un axiome pour les marxistes révolutionnaires" que le SPD ne pouvait plus être réformé. Même s’il s’agit d’une affirmation correcte, pour les révisionnistes suivant le voie tracée par Pablo ce n’était pas le cas. »

Jusque-là, la très longue citation de Dieter Wilhelmi à propos de l’entrisme profond tel qu’il fut appliqué en Allemagne. Nous l’avons cité si longuement parce que cette critique démontre aussi dans quelle mesure le rejet sectaire de la social-démocratie embourgeoisée et les tendances opportunistes vis-à-vis des réformistes et des centristes évoluant vers la gauche, peuvent se ressembler. Très souvent on peut constater la présence simultanée de ces 2 tendances chez les mêmes personnes.

Cependant, la critique de D. Wilhelmi est incomplète. Elle ne mentionnait pas que la notion de l’ «entrisme profond » ou de l’ «entrisme sui generis», avancée par Pablo, avait déjà été ébauchée au niveau théorique en 1946. Ce qui faisait également défaut était le constat que le Comité international de la IVe Internationale avait été aussi mis en pratique ce type de politique révisionniste et que le mouvement trotskyste l’avait pratiquée au sein des syndicats après la Deuxième Guerre mondiale. Un exemple parmi tant d’autres de cette politique a été fourni par les lambertistes au sein de Force Ouvrière. Il est aussi significatif que leurs partisans allemands, qui continuent à faire de l’entrisme au sein du SPD, le font avec une politique qui est d’exiger du ce parti qu’il mène à nouveau une politique social-démocrate réformiste.

6. Il y a deux types de "soutien critique" aux réformistes lors des élections.

Pendant les périodes électorales, les marxistes ont le devoir de mettre en garde les partisans des réformistes contre la trahison future de leurs dirigeants. Les révolutionnaires peuvent appeler à voter pour les réformistes afin de leur donner la possibilité de se démasquer eux-mêmes. Ils peuvent alors combiner une propagande générale révolutionnaire avec des mobilisations ponctuelles et concrètes autour de problèmes brulants de la classe ouvrière. Si les illusions des masses se révèlent alors encore être trop fortes, surtout à propos des questions brulantes du moment, alors les révolutionnaires resteront obligatoirement isolés dans un premier temps. Leur heure viendra quand les réformistes fourniront les preuves de la véracité des mises en garde lors d’une crise aiguë. Les révolutionnaires auront ainsi démontré la supériorité de leur appréciation. A l'avenir cela pourra aider les masses à s’orienter vers eux.

Nous sommes persuadés que c’est précisément cette tactique que Lénine a conseillée aux communistes britanniques. On pourra lire ce plaidoyer de Lénine dans son livre « La maladie infantile du communisme (le gauchisme)».

Dans les conditions de la Russie tsariste, Trotsky avait déjà formulé cette « tactique du nœud coulant autour du cou » vis-à-vis des Cadets qu’il considérait comme des contre-révolutionnaires, même en relation avec la révolution bourgeoise Nous allons en faire la démonstration en citant longuement un texte largement inconnu de Trotsky qui à notre connaissance n’a jamais été traduit en français:

« La propagande socialiste prend comme point de départ le dévoilement de toute idéologie politique qui reconnait, ouvertement ou tacitement, l'inviolabilité des rapports de production capitalistes. Et le libéralisme, y compris le plus conséquent, constitue une telle idéologie. (…) Notre ” collaboration”, notre concurrence, nos escarmouches polémiques avec le libéralisme se développent sur un niveau qui se situe au niveau basique de la lutte pour la démocratie. Cela découle de la phase concrète de l'évolution historique. En France, où le libéralisme le plus conséquent, (…), se trouve au gouvernail de la République, le combat quotidien de notre parti avec les partis de la bourgeoisie tourne autour de la question : capitalisme ou collectivisme? »[52]

Le problème auquel nous sommes aujourd'hui confrontés est le réformisme, c’est-à-dire les ex-partis ouvriers au sens politique du terme et/ou qui peuvent se référer à une continuité organisationnelle avec des vrais partis ouvriers, mais qui se sont complètement transformés en parti bourgeois. Ces partis, représentés en Allemagne par le SPD et ”Die Linke”, se comportent à la fois comme des anti-communistes et comme des parties qui s’affichent comme représentant une modernité capitaliste et comme étant mieux apte à représenter les intérêts immédiats de la masse des salariés que les partis traditionnels de la bourgeoisie voire les ”sectaires de gauche”. Par leur engagement en faveur de réformes sociales dans le cadre du capitalisme, ils réussissent - avec des degrés différents de succès- à s’appuyer sur une grande partie de la classe ouvrière, au moins lors des élections, mais aussi au sein des syndicats.

 
Pour les marxistes il s'agit d’un côté de s’attaquer à leurs idéologies bourgeoises de modernisation [du capitalisme ndlt], de mettre en avant des perspectives socialistes et de l'autre côté, d’aider la grande masse des salariés à se libérer des illusions réformistes qui subsistent encore. Selon nous, les conseils de Trotsky concernant la lutte contre le libéralisme russe peuvent nous être utiles:

«Qu’est-ce que signifie ”utiliser” le libéralisme? Qu’est-ce que signifie: l’”encourager”? Qu'est-ce signifie soutenir le libéralisme, dans la mesure où il s’oppose à la réaction, et de le combattre, dans la mesure où il cherche ensuite de retenir le peuple à mi-chemin? »[53]

Mais tout d’abord Trotsky était obligé de faire le bilan de la politique que la social-démocratie allemande avait menée vis-à-vis du libéralisme:

«La social-démocratie soutient le libéralisme et l’”encourage” et ce n’est certainement pas avec le consentement de ce dernier. Ce faisant les cas de soutien direct aux libéraux (voter pour eux lors les élections, imprimer leurs appels, même si eux-mêmes manquent le courage de le faire) occupent une place subordonnée et entièrement insignifiante dans l’ensemble des relations que nous avons avec eux. Le soutien que nous accordons au libéralisme est par essence le revers de la médaille de notre lutte contre lui. En critiquant le libéralisme et en le démasquant devant la population, laquelle il entend influencer, nous le forçons d’avancer. A partir des engagements que le libéralisme prend vis-à-vis du peuple, nous déduisons une chaîne logique de conclusions; et nous lui jetons cette chaîne autour du cou comme un nœud coulant afin de le traîner derrière nous. Lorsqu’il résistera, le nœud coulant commencera à lui serrer et deviendra gênant. Qu’il le veuille ou non, il ira de l’avant, souvent [en prononçant] des malédictions étouffées. A chaque pas, il essaiera de nous enrayer, il implorera un répit, nous accusera d’être excessivement direct, de n’avoir aucun tact, de le harceler et il nous répudiera. Toutefois, étant donné que la direction et le rythme de notre mouvement sont dictés par le développement politique des masses populaires et non pas par la vision que le libéralisme a de lui-même, nous augmenterons incessamment notre pression, au fur et à mesure de la progression des masses, et ainsi, nous forcerons le libéralisme d’aller aussi loin que sa nature sociale lui permet d’aller. Et quand il aura enfin atteint ses ”limites” et qu’il s’arrêtera net, alors le nœud lui serrera fermement autour du cou — et il ne restera de lui qu’un cadavre sur le chemin de l'histoire. C’est au moyen de ce type de ”soutien” que la social-démocratie allemande a transformé le libéralisme allemand dans un cadavre.»[54]

Quant au rôle que les marxistes devaient jouer dans le processus de la crise du libéralisme russe, Trotsky écrivait:

« Quelle doit être l’attitude de la social-démocratie, qui est elle-même un des éléments qui contribue à ce chaos, mais qui, à son tour, est capable d’influencer consciemment la cristallisation ininterrompu de celui-ci? Surtout, il est à retenir expressément que la social-démocratie ne peut en aucun cas contribuer au maintien et à la consolidation de n’importe quel groupe oppositionnel - au contraire, le meilleur service qu’elle puisse rendre à la cause de la démocratie, est de faire, obstinément et impitoyablement, une critique soupçonneuse de tous les partis libéraux du point de vue d'un démocratisme conséquent.» [55]

En appliquant cette logique à la situation actuelle, nous arrivons la conclusion que, compte tenu des rapports de forces actuels, nous sommes sans cesse contraints dans notre agitation de souligner que la politique des réformistes foule aux pieds les besoins élémentaires du prolétariat. Même lorsque nous nous ne trouvons pas dans une situation prérévolutionnaire aiguë, cette approche doit permettre d’avancer la construction du parti. En ce qui concerne cette perspective, nous admettons que nous n’avons pas encore laissé l’étape de petit noyau de propagande suffisamment derrière nous. Dans la pratique, nous sommes donc obligés de continuer à travailler dans la perspective esquissée par Trotsky:

« Chaque nouvelle situation révolutionnaire exige de nous que nous l’exploitons — premièrement pour l'organisation indépendante du prolétariat et deuxièmement pour engager les masses démocratiques les plus larges dans la lutte révolutionnaire directe.

Chaque pas en avant que nous faisons pour nous rapprocher de ce deuxième objectif, et qui inclut le soutien que nous donnons à la démocratie bourgeoise en tant que force politique et sociale; chaque pas fait nous offre la possibilité d’établir des relations les plus diverses avec l’une ou l’autre organisation oppositionnelle qui reflète le niveau actuel du développement des masses démocratiques. Cela les Cadets -une de ces organisations qui existent à l’heure actuelle- sont incapables de comprendre, en revanche nous ne pouvons jamais l’oublier.

Une Douma impuissante, qui doit faire face à un absolutisme armé, crée une situation révolutionnaire, c'est-à-dire une contradiction qui ne peut plus être résolue par la voie ”constitutionnelle”. Et si j’arrive à la conclusion qu’il faut envoyer un Cadet à la Douma, c’est, avant tout, pour qu’il puisse se compromettre. Si j’appelle les électeurs sociaux-démocrates ou les délégués[56] à voter pour un Cadet, ce n'est pas parce que je pense que lorsque je dépose un bulletin portant le nom de M. Petrunkevitch[57] dans une urne en bois cela équivaut à un soutien direct à la démocratie. Ah, non ! Dans le cas présent, je soutiens la démocratie de manière à placer ses dirigeants actuels dans une situation révolutionnaire afin de les discréditer. Au moyen de ce ”soutien”, je pousse la démocratie bourgeoise arriérée qui, à cause de sa suprématie, m'a forcée à voter pour les Cadets, vers l’avant; mais je soutiens les Cadets comme le nœud coulant soutient le pendu. »[58]

À l’objection, déjà soulevée à l'époque, qu’en ce faisant on soutenait quand-même des candidats non-prolétariens, Trotsky répondit:

« Vous pourriez me dire : ”Très bien alors. Essentiellement, il s’agit de la même chose. Cependant vos réflexions n’ont aucune force indépendante. Un fait reste un fait. Vous votez pour les Cadets, par conséquent, vous soutenez les Cadets.”

Bien sûr, je répondrais, qu’un fait est un fait. Mais dans le cas échéant, quel est le fait décisif? Un bulletin de vote déposé dans l'urne en bois ou l'agitation socialiste révolutionnaire que nous mènerions au cours des élections et dans laquelle nous garderions exactement le même ton que si nous aurions été capables de nous présenter nous-mêmes contre un candidat du Parti Cadet ou lorsque nous soutiendrions un Cadet contre un Octobriste?[59]

La question qui est si âprement discutée dans notre parti - à savoir à quel niveau de notre tour de Babylone électorale est-il permis de soutenir des candidats non-prolétariens — a sans aucun doute un poids considérable: j'ose néanmoins affirmer qu'il s'agit d'un problème tout-à-fait secondaire. La question primordiale est celle de l'idée politique qui structure notre agitation et qui constitue le fil rouge de nos actions, celle de savoir si nous appelons la population à voter pour le camarade Plekhanov, ou si nous appelons les électeurs de donner leur voix aux membres Cadets du collège électoral, ou si nous recommandons nos membres du collège électoral à aider Monsieur Milioukov[60] de passer le seuil de la Douma impériale.

Selon moi, certains camarades accordent une importance disproportionnée à la question de savoir à quelle étape du processus électoral un accord électoral peut-il être conclut(…)

(…) En Europe, lors du deuxième tour du scrutin, c’est l'habitude de conclure un accord électoral ; cette procédure offre de nombreux avantages sur lesquels je ne vais pas m’étendre ici. Toutefois, j’attire l’attention des camarades sur le fait que le deuxième tour du scrutin ne se passe pas à l'écart des masses, ni au-dessus de leurs têtes, comme lors des élections en deux étapes[61]. Là-bas, le même électeur ”de masse” participe au deuxième tour des élections comme à l’élection générale - et cet homme simple doit surmonter de nombreux obstacles: sept jours auparavant, suite à notre agitation intensive, il a donné sa voix aux sociaux-démocrates contre les libéraux et aujourd'hui, une semaine plus tard, il doit, à l’appel de ces mêmes sociaux-démocrates, voter pour les libéraux. Si son cerveau est capable de résoudre cette opposition au moment du deuxième tour de scrutin, alors je ne comprends pas pourquoi il serait confus par la même combinaison lors des élections générales. On pourra avancer des suppositions qui auront un degré de probabilité plus ou moins élevé afin de savoir si un accord avec les Cadets lors de la première étape des élections est nécessaire, et dans quelle mesure. Néanmoins, comme je l’ai déjà dit, il est impossible de rejeter la possibilité d’un tel accord par principe. En général, il serait tout à fait étrange que dans ce domaine spécifique, dans lequel ces questions concernant la technique électorale jouent un rôle décisif, nous mettions en avant quelconque principe absolu et indiscutable, qui, en toute circonstance, doit déterminer notre conduite. Un tel inconvénient, qui est certes sérieux mais d’ordre purement technique, telle l'absence d’un deuxième tour du scrutin, peut-il éliminer l'objectif politique que nous espérons atteindre à travers des accords? Bien sûr que non.

Je répète: l’importance décisive pour notre indépendance politique réside moins dans notre choix de tactique électoral que dans les motifs pour lesquels nous nous y engageons et qui donnent toute la précision nécessaire à notre agitation.

Si nous nous laisserions guider par une abstraction — tel que la thèse selon laquelle notre soutien aux Cadets permettrait ”d’isoler la réaction” — alors un accord avec les Cadets nous transformerait aux yeux de la population, à un certain degré, en défenseur du Parti Cadet. Nous devrions alors mettre en évidence la considération que les sociaux-démocrates ne sont pas seul au monde, qu’en dehors de nous il y a encore d’autres parties qui luttent pour la liberté, que les Cadets sont un parti progressiste, qu’il lutte pour ”la terre et la liberté” etc.

Toutefois, si nous partons du point de vue que, dans le bût d’isoler et d’écraser la réaction, il est, entre autres, nécessaire de détruire dans la conscience [des couches avancées (version anglaise ndlt)] de la population les préjugés politiques, que les Cadets cherchent à consolider, et que cet objectif serait plus facilement atteint si nous aidons les Cadets à se mettre dans une position, qu'ils s’empressent à occuper et qui exige des qualités qu’ils ne possèdent même pas dans leurs rêves les plus fous - alors nous persisterons à être leurs impitoyables démystificateurs politiques — non seulement dans le district dans lequel nous nous affrontons directement, mais aussi dans les endroits où nous appellerons à voter pour eux.

Certes, les Cadets sont un parti progressiste, M. Petrunkevitch[62] est assurément incomparablement ”mieux” que M. Pourichkevitch[63] ou même M. Guckov[64] et, bien sûr, les Cadets mobilisent pour ”Terre et Liberté”. Mais nous, les sociaux-démocrates, devons donner la possibilité aux Cadets de démontrer eux-mêmes toutes ces ”vérités incontestables”: ils y sont suffisamment intéressés, et ils disposent d’un énorme appareil de journaux légaux et d'un nombre équivalent d'orateurs pour présenter le catalogue entier de tous les services et de tous les mérites du Parti Cadet. Nous devons apporter notre correction social-démocrate à cette agitation libérale. Certes, nous disons que M. Petrunkevitch est mieux que M. Pourichkevitch (”un moindre mal”) ; cependant, ce qui se trouve au cœur du problème c’est l’incapacité de la tactique de M. Petrunkevitch de vous, les citoyens, libérer de la dictature du gouvernement de M. Pourichkevitch. Bien évidemment, les Cadets avancent ”Terre et Liberté”; néanmoins, leur hégémonie politique ne donnera ni l'un ni l'autre au peuple. Toutefois la majorité parmi vous, citoyens électeurs ou citoyens membres des collèges électoraux, ne partagez pas notre point de vue. Vous exigez que nous vous aidions, au moyen de nos voix, à écraser les Cents Noirs[65] et à envoyer M. Petrunkevitch à la Douma. C’est ce que nous allons faire, car si M. Pourichkevitch réussi à être élu à la Douma, il vous aidera à maintenir intact votre confiance en M. Petrunkevitch, et, à vos yeux, toute la responsabilité nous en incombera. Cela, nous ne voulons point. Nous faisons un pas dans votre direction. Nous voterons pour votre candidat afin de vous démontrer que vous êtes partis dans le mauvais chemin.

Voilà, ce que nous allons dire dans les meetings électoraux. Et si nos motifs laissent pour le moment indifférent les citoyens, qui pensent quand même à voter pour les Cadets, ils comptent pour les électeurs, influencés par la social-démocratie, lorsque nous les appelons à voter pour un candidat qu’ils ont déjà dépassé au niveau politique.

Comme je l’ai écrit plus haut, nous nous comportons comme des défenseurs des Cadets avec la première façon de présenter nos arguments, mais nous agissons comme ceux qui dévoilent leur véritable caractère en utilisant la deuxième manière...»[66]

En résumant, Trotsky constate:

«Dans l'agitation, la première manière de présenter nos arguments pourrait être développé succinctement ainsi: ”Bien que le candidat X, en tant que Cadet, a des milliers de faiblesses, en tant que politicien de l’opposition et militant pour la « Terre et Paix » il possède aussi des qualités qui lui donne le droit de représenter le peuple dans la Douma d’Etat.

La deuxième manière pourrait être formulé de la manière suivante: « Même si le candidat X, en tant que Cadet, possède des milliers de qualités, il est, malgré ceux-ci, tout à fait incapable de lutter pour la « Terre et Paix » - et pour vous le prouver, nous vous aiderons à l’envoyer à la Douma d’Etat.

Il y a un monde d’agitation politique dans la différence entre ces deux approches. » [67]

Nous pensons que l’origine de politique du FUO se trouve dans l’approche que Trotsky a formulée ici et qui résulte de la théorisation de son expérience dans le combat contre le libéralisme au sein de la révolution démocratique en Russie. Cette attitude vis-à-vis du libéralisme a été maintenue jusqu'à la dissolution de l'Assemblée Constituante en 1918 et envers les socialistes-révolutionnaires (que Trotsky plaçait également dans le camp du libéralisme, et cela même au-delà de 1918). A partir de la révolution de Février 1917, cette approche tactique fut aussi appliquée envers la diaspora politique du menchevisme.

Nous ne voyons aucune raison pour abandonner cette excellente méthode pour combattre l'influence exercée par des partis bourgeois-réformiste sur le prolétariat, tel que c’est actuellement le cas pour les partis sociaux-démocrates modernes et/ou néo-sociaux-démocrates. Nous pensons qu’une autre raison de votre refus de l'appliquer la tactique du FUO trouve son origine dans une école qui n’a que compris que très superficiellement l’approche bolchevique de cette politique ainsi que de la position de Trotsky.

7. Une critique de vos «critères pour définir un parti ouvrier bourgeois »

Jusqu’ici, notre exposé a fait transparaitre qu’au niveau de méthode nous tenons les déductions de votre position sur la social-démocratie pour inquiétantes. Nous voulons maintenant le démontrer davantage en nous basant sur vos propres « critères pour définir un parti ouvrier bourgeois ».

Tout d'abord, il convient de noter que la terminologie que vous utilisez pour votre définition révèle déjà une contradiction de méthode avec le marxisme dialectique et historique. Le marxisme analyse l'émergence et le développement d'un parti comme un processus historique. Le parti en question est considéré comme étant l’expression organisationnelle et politique des intérêts de classe et cela dans la mesure où sa position vis-à-vis des classes fondamentales et dans le cas échéant les classes intermédiaires, est comprise comme un ensemble de rapports sociaux qui évoluent sans cesse. Lorsque le caractère de classe d’un parti se transforme (comme c’était le cas de la majorité des partis de la IIe Internationale), il est vitale d'analyser comment cette rupture qualitative s’est accomplie et par quels changements quantitatifs.

En revanche, vous évitez de faire une analyse historique matérialiste. A lieu de cela, vous définissez à l’aide de ”critères”, que vous avez sélectionnés vous-mêmes, à quoi devrait correspondre un ”parti ouvrier bourgeois”. Ainsi, non seulement, vous vous dérobez de répondre à la question de savoir comment mais surtout quand un changement qualitatif a eu lieu. De cette façon vous ouvrez la voie à n’importe quelle constatation volontariste. En effet, en vous basant sur une banalité, à savoir que les partis réformistes changent continuellement, vous pouvez affirmer, à votre convenance, que chaque modification représente un nouveau changement qualitatif. Vous n’êtes pas les seuls qui ont emprunté ce chemin, comme nous le démontrerons à l’exemple de plusieurs débats récents. Mais revenons à vos critères:

a) Le programme

Vous désignez comme premier critère, qui constitue à vos yeux le critère ”décisif”, le ”programme politique de base” d'un parti. Vous délimitez celui-ci expressément des programmes électoraux qui sont dus aux circonstances et vous soulignez que ce qui est fondamental c’est la ”tradition historique” dans laquelle un parti se situe. Ce programme constituerait le seul critère définissant un parti comme ”parti ouvrier” ou comme ”parti réformiste”. Dans la discussion à propos des critiques, vous allez même jusqu’à écrire que la seule chose qui importe est le programme officiel d'un parti.

Cette thèse n'est pas celle des fondateurs du socialisme scientifique. Engels, par exemple, dans une lettre à August Bebel écrivait:

«En général, il est vrai, le programme officiel d'un parti importe bien moins que ses actes. » [68]

En conséquence, Marx, dans « La Préface à la Critique de l'économie politique » écrivait :

« Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversements sur sa conscience de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production.» [69]

Trotsky renvoyait déjà à ces déclarations :

«La social-démocratie ferait preuve d’une très grande naïveté si elle basait ses perspectives sur les déclarations officielles d'autres parties. Nous gardons bien en mémoire les mots classiques de notre vieux Marx selon lesquelles on ne peut juger point la nature d'un parti d’après ses propres déclarations que le caractère d'un homme d’après ce qu'il pense de lui-même.»[70]

Si on applique cette norme, on n’a évidemment aucune difficulté à constater aujourd'hui que la politique de la social-démocratie française ainsi que celle du réformisme allemand sont foncièrement bourgeois. Vos explications concernant votre critère révèle clairement que vous renoncez à faire une analyse historique. Celle-ci aurait indubitablement démontré que les partis sociaux-démocrates, depuis 1914, ont mené sans interruption une politique bourgeoise. Qu’est ce qui justifie donc votre affirmation qu’un autre changement qualitatif s’est produit en 1980? Si nous partons du principe que la social-démocratie bourgeoise d’après 1914 était l'antithèse de la social-démocratie prolétarienne d’avant 1914, comment doit-on alors qualifier ce qui s’est passé en 1980 et après?

Au lieu de fournir une réponse dont on pourra bien comprendre la méthode sous-jacente, vous vous réfugiez dans les larges contrées de l'empirisme.

b) La pratique gouvernementale des réformistes

Maintenant, vous faites entrer sur scène votre deuxième « critère », la «pratique gouvernementale des réformistes». Vous constatez correctement que dans le fond, au vingtième siècle, chaque parti réformiste a mis en œuvre une « politique contre-révolutionnaire ou antirévolutionnaire» lorsqu’il a participé au gouvernement. «C’était la mission qui leur revenait dans le cadre de l’État bourgeois lorsque les partis traditionnels de la bourgeoisie n’étaient plus capables de canaliser seuls la colère prolétarienne et populaire.»[71] Finalement, parce que, dans absolu, cette affirmation ne couvre pas tous les cas de participation gouvernementale des réformistes, vous en arrivez à admettre que dans un certain nombre de cas les bourgeoisies permettaient aux sociaux-démocrates de détenir le pouvoir gouvernemental sans qu’il y ait le moindre ombre d'une situation révolutionnaire. A première vue, il semble que vous voudriez relativiser cette admission, mais, lorsqu’on y regarde de plus près, cette concession contredit pourtant la première affirmation: «Dans tous ces cas, il s'agissait d'un compromis historique à court terme, à moyen terme ou à long terme, avec la bourgeoisie. » En outre, depuis 1950, il s’agit habituellement d’une domination bourgeoise « classique », il nous est totalement incompréhensible en quoi il s’agissait d’un «compromis historique» avec la bourgeoisie?

Jusque dans les années soixante-dix, l'impérialisme se trouvait dans une période de boom. Il y avait de plus en plus un bon équilibre entre l'offre et la demande sur les différents marchés du travail et dans l’échange pour maintenir la « paix sociale », la bourgeoisie se trouvait dans une situation dans laquelle elle pouvait se permettre de faire des concessions à la classe ouvrière. Dans une situation caractérisée par les contradictions entre l’Est et l’Ouest, elle souhaitait aussi satisfaire des revendications du mouvement ouvrier. Les réformistes sociaux-démocrates venaient juste à propos pour faire miroiter à la classe ouvrière l’illusion que son sort était mieux dans le capitalisme que dans le socialisme.

Au lieu de faire entrer cette situation historique particulière dans votre analyse, vous affirmez que, dans cette phase de développement capitaliste, il s’agissait d’une sorte condition de vie pour les réformismes de ne pas s’attaquer aux acquis de la classe ouvrière quand ils faisaient partie d’un gouvernement: « non parce qu’ils étaient amis du prolétariat, mais parce que la préservation de ces conquêtes était la condition même de leur propre pouvoir. ». Cette thèse manque de profondeur.

Si votre analyse a un certain sens, c’est pour suggérer qu’il s’agissait, pendant le boom de l'économie mondiale, d’une politique consciente contre les exigences de la bourgeoisie, et qui par surcroit se serait affronté à cette dernière, de la part des sociaux-démocrates. Mais un tel conflit ne s’est produit en aucun endroit. Nulle part les réformistes sociaux-démocrates n’ont, par la suite, été contraints de réaliser les exigences que le capital adressaient à la politique gouvernementale bourgeoise. A partir de la fin des années soixante-dix Ils l'ont fait de soi-même et tout-à-fait volontairement. Au début des années quatre-vingt, le gouvernement de l'Union de la gauche, sous Mitterrand, s’est plié devant les exigences du capital sans que cela lui a provoqué des maux de dos.

Vous écrivez même, qu’aux alentours de 1980 (depuis 1974 en Allemagne), les gouvernements, dirigés par les sociaux-démocrates, ont commencé partout le démantèlement et sont passés à l’attaque systématique de ces acquis parce que le boom économique d'après-guerre s’était essoufflé. Depuis 1980, chaque fois de nouveau, les partis sociaux-démocrates ont enregistré une certaine érosion lors d’élections. Cela ne les a nullement empêchée de reprendre un peu plus tard les affaires d’un gouvernement bourgeois en main, lorsque des gouvernements bourgeois « pures » se sont épuisés après avoir mené une politique comparable. Ces possibilités leur ont été offertes, non pas parce qu’ils disposent toujours de la confiance intact de larges couches de salariés, mais, en règle générale, parce le prolétariat ne voit aucune alternative à portée de la main qui puisse prendre la place du réformisme social-démocrate.

Votre thèse centrale est basée sur cette évolution qui aurait aboutie à un changement de la nature ou, comme nous préférons dire, à un changement du caractère de classe de la social-démocratie. Celle-ci provoquerait dans une vaste rupture entre la classe ouvrière et les partis réformistes. Dans la mesure dans laquelle les travailleurs continueraient encore à voter pour ces partis, ils le feraient non pas parce qu’ils auraient encore des illusions dans la volonté des réformistes de mener une politique qui va dans le sens de leurs intérêts. Ils choisiraient seulement le moindre mal.

Pourtant vous oubliez quelques « détails ». Premièrement, que le vote pour la social-démocratie en tant que « moindre mal » confirme qu’il y a encore des couches significatives de la classe ouvrière qui continuent, comme par le passé, à entretenir l’illusion que le réformisme social-démocrate constitue le meilleur instrument dans la défense de leurs intérêts quotidiens au sein du système capitaliste, que non seulement il le fait mieux que les partis bourgeois traditionnelles mais aussi mieux que les marxistes révolutionnaires. Deuxièmement, ceci démontre que, comme par le passé, de larges couches de la classe ouvrière considèrent qu’une mauvaise représentation de leurs intérêts dans le cadre du capitalisme est plus pertinente que la lutte pour une perspective révolutionnaire ou socialiste. La thèse selon laquelle la classe ouvrière n'a plus d'illusions dans la social-démocratie se révèle donc n’être rien d’autre qu’un vœu pieux, pour ne pas dire qu’il s’agit d’une grave perte de toute notion de la réalité.

Ce qui reste de votre thèse n’est qu’un jeu de mots dépourvu de quelconque contenu de classe, à savoir qu’un parti qui ne réalise plus aucune réforme et qui détruit les résultats de réformes antérieures « cesse obligatoirement d’être un parti réformiste ». L'attitude du prolétariat des pays impérialistes, telle quelle, sanctionne votre raisonnement comme étant superficiel et pseudo-logique.

Enfin, la thèse, selon laquelle l’entièreté de l'histoire du réformisme est un nouveau phénomène, se heurte également au cours réel de l’histoire. Les partis réformistes de l'époque de l'entre-deux-guerres, préféraient déjà, à l'époque de la crise capitaliste d’alors, à défendre les intérêts financiers contre les intérêts des travailleurs. En Allemagne, le SPD a, entre autres, soutenu le régime bonapartiste de Brüning[72] qui gouvernait au moyen de décrets-lois et qui poursuivait une politique drastique de régression sociale. Pour sortir de la crise, le SPD craignait davantage la formation d'un front unique avec les communistes que le fascisme. Certaines couches de la direction social-démocrate essayaient même plus tard de s’arranger avec les nazis.

Dans la discussion que vous avez menée avec le Groupe Bolchevik, qui s’est malheureusement avéré peu fructueux, vous vous êtes appuyé sur le fait que le SPD n’était pas responsable pour l’introduction de ces mesures puisqu’à cette époque il n’était pas au gouvernement et qu’en vertu de son caractère ou de sa nature de parti ouvrier réformiste il n’aurait pu en faire partie. De là, vous déduisiez même que, dans cette phase de la crise, le motif principal de la bourgeoisie est de renoncer aux services de la social-démocratie[73]. Il aura fallu l’introduction d’un régime présidentiel pour réaliser ces mesures. Force est de constater qu’en raison de sa participation gouvernementale antérieure, le SPD avait réussi à imposer des réformes qui allaient dans le sens des intérêts de la classe ouvrière.

Ces affirmations nous ont laissé bouche bée. La seule grande réforme des années vingt, la journée normale de travail de 8 heures, était un produit de la révolution de Novembre 1918 et, par conséquent, clairement une victoire pour tous les courants du mouvement ouvrier. Il en va de même pour le droit de vote pour les femmes. Aucun historien sérieux ne catalogue ces réformes comme un succès qui est le résultat d’une quelconque stratégie et politique particulières de la social-démocratie. D'ailleurs, à part une seule exception, toutes les grandes réformes sociales en Allemagne ont été décidées par les partis bourgeois traditionnels dans le but de couper l’herbe sous les pieds du mouvement révolutionnaire et pour améliorer les conditions d’utilisation du capital variable (ex. l’assurance maladie). Il n’en est pas de même (seulement partiellement) pour la continuation du paiement de salaire en cas de maladie, une mesure qui a été adoptée conjointement, en 1968, par la grande coalition du CDU/CSU avec le SPD.

D'ailleurs, au niveau institutionnel, la république de Weimar prévoyait le recours aux décrets-lois présidentiels. Il ne s'agissait donc nullement d'une rupture, comme c’était le cas en France lors du passage de la Quatrième à la Cinquième République. Votre thèse selon laquelle le SPD, en raison de sa "nature", a été contraint de renoncer à une politique ouvertement traître, ne correspond non plus à la réalité, étant donné son attitude de l’époque lors de la crise économique mondiale et envers le fascisme. La «nature» des partis sociaux-démocrates n’a encore empêché un seul de ses dirigeants à trahir. Cela ne modifie en rien que, dans des situations de crises analogues, les réformistes ont l’habitude de faire des promesses selon lesquelles ils changeront leur politique plus tard quand la situation se sera de nouveau améliorée. Votre thèse, selon laquelle la bourgeoisie a renoncé de faire appel aux services du SPD parce qu’elle aurait craint une rupture massive de la classe ouvrière avec celui-ci, ne repose sur aucune preuve historique. Tout d'abord, force est de constater que la politique du SPD dans les années vingt et trente n'a pas résulté dans une perte des positions qu’il occupait au sein des masses prolétariennes - comme cela ne s’est pas non plus produit dans les années quatre-vingt. En outre vous attribuez à la bourgeoisie allemande une conscience collective qui régirait ses actions ce que, jusqu'à présent, pas un seul historien n’a pu constater, même pas lorsque les capitalistes tiraient tous ensemble à la même corde. Soit dit en passant, vous négligez, sans que cela vous pose apparemment de problèmes, l'analyse, jusqu’à ce jour inégalée, de Trotsky.

Dans «La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne. Problèmes vitaux du prolétariat allemand» Trotsky écrivait en 1932 :

«La social-démocratie, malgré sa composition ouvrière, est un parti entièrement bourgeois, dirigé dans des conditions "normales" de façon très habile du point de vue des objectifs de la bourgeoisie ; mais ce parti ne vaut rien dans des conditions de crise sociale. (…) La social-démocratie a perdu des électeurs et des mandats parce que le capitalisme a révélé dans la crise son véritable visage. La crise n'a pas renforcé le parti du "socialisme", mais au contraire elle l'a affaibli, de la même manière qu'elle a réduit la circulation des marchandises, l'argent dans les caisses des banques, la suffisance de Hoover et de Ford, les revenus du prince de Monaco, etc. (…) Peut-il y avoir de démonstration plus indiscutable du caractère bourgeois de ce parti? » [74]

Il critiquait donc le même type de pratique social-démocrate que celle-ci continue actuellement à mettre en pratique, c'est-à-dire mener une politique bourgeoise, jusqu’à l'autodestruction, même si aujourd’hui en Allemagne on la désigne par néolibéralisme et en France par libéralisme. Plus loin, dans le même article, Trotsky analyse les raisons pour lesquelles le SPD parvient néanmoins à maintenir son influence sur les masses. Nous y reviendrons.

c) La structure sociale de la social-démocratie

Votre troisième argument se base sur des données empiriques concernant les changements dans la structure sociale de la social-démocratie française Ces données, qui nous sont difficilement accessible, permettent selon-vous de déterminer ce qui caractérise un parti ouvrier bourgeois. Des changements analogues se sont produits dans la social-démocratie allemande et dans celle des autres pays impérialistes. En vue de l’analyse de la nature ou du caractère de classe de la social-démocratie selon un point de vue trotskyste, tel que l’on le retrouve dans le passage de l’article de Trotsky cité ci-dessus, et qui définit la nature de classe du réformisme « malgré sa composition ouvrière», les changements auxquels vous vous référez n’ont aucune valeur. Ils démontrent tout simplement que le processus d’embourgeoisement de la social-démocratie continue selon des rythmes peu différents dans d’autres pays. Ni plus, ni moins. Cependant, il existe un danger de mal interpréter ces données accumulées par l’utilisation de critères provenant de la recherche sociale bourgeoise ou de la sociologie des partis - recherche qui utilise des catégories non marxiste (par ex.: la notion d’ouvrier dans ce type d’études n’a rien en commun avec la notion marxiste de la classe ouvrière).

Conclusion:
 
Les constatations de Trotsky, mentionnées ci-dessus, renvoient à deux erreurs que vous avez commises et qui sont liés au niveau du contenu.

Premièrement, votre théorie du réformisme est erronée. Jusqu’en 1980, vous lui attribuez un caractère de classe hybride. Ni le Comintern du vivant de Lénine, ni Trotsky, dans ses écrits théoriques, n’ont mis en avant une idée pareille.

Les partis sociaux-démocrates ont été fondés en tant que partis ouvriers, comme expression de l'organisation et l'indépendance politique du prolétariat. Depuis 1914, ils sont des partis politiques complètement bourgeois, qui s’appuient pour le moins sur certaines couches de la classe ouvrière. En tant qu’organisations ils symbolisent encore la nécessité d'une politique indépendante de la classe ouvrière, tout comme les partis travaillistes. C’est seulement dans ce sens, qu’ils constituent un élément progressif dans la lutte des classes. Toute théorie, qui prend comme point de départ le caractère hybride ou double de la social-démocratie, est un reflet révisionniste du boom économique de l'impérialisme, qui a suivit la fin de la Seconde Guerre mondiale, au sein du mouvement trotskyste[75]. Compte tenu de l'évolution de la politique social-démocrate depuis les années soixante-dix, cette théorie centriste, défendue non seulement par le lambertisme[76] mais aussi par le pablisme[77] et la tendance de Ted Grant[78], devenait de plus en plus intenable.

La deuxième erreur que vous commettez est celle de vouloir à tout prix déduire de la nature du réformisme social-démocrate une tactique immuable vis-à-vis de celui-ci. Certes, la nécessité d’appliquer une politique de front unique envers la social-démocratie découle de par sa nature. Cependant, cette politique est beaucoup plus souple et beaucoup moins schématique que les traditions centristes des différents courants trotskystes, qui se sont développés dans l’après-guerre, laissent supposer. Selon nous, les principes découlant d’une politique de front unique n’exigent pas qu’il faut, indépendamment du temps et du contexte, mettre en avant l'unité et, en plus, appeler à soutenir des candidats ou des partis réformistes lors des élections, etc. Chaque décision doit être prise sur la base d'une analyse concrète de la situation de la lutte de classe, des possibilités pour les révolutionnaires d’intervenir, etc.

Nous avons l'impression que vous avez développé votre « nouvelle » théorie sur la social-démocratie, afin d’exclure, une fois pour toutes, un retour aux vieilles tactiques lambertistes envers la social-démocratie. Le prix que vous payez pour cela est élevé: vous ne pouvez le faire qu’en excluant toute critique du schématisme tactique que le lambertisme a pratiqué jusqu'en 1980 et en perpétuant vous-mêmes ce même schématisme. Vous n’êtes pas les seules à avoir une telle approche. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO/CWI)[79] procède également de la même manière. Chez lui, la prétendue transformation qualitative du réformisme s’est faite en 1992. Dans la Gruppe Internationale Marxisten, l'ancienne section allemande du Secrétariat Unifié de la IV Internationale, un courant analogue avançait l’année 1959 comme étant le moment où la social-démocratie allemande s’était transformée. C’était l’année où le SPD cessait officiellement de définir le socialisme comme son but ultime. Des sous-courants de ce même courant, qui entretemps ont formé le Revolutionär-Sozialistischer Bund, avancent désormais un autre point de rupture qualitative. Selon eux, cela se serait produit au cours de l'année 1995[80]. Cette fois-ci la transformation du «libéralisme social» en «néolibéralisme» en serait la raison. Où se situerait cette nouvelle qualité, exprimée dans des termes de classe, ne mérite de la part de ces adeptes aucune explication. A notre avis, ces exemples soulignent notre thèse selon laquelle il s'agit d'une démarche méthodologique où le matérialisme historique est remplacé par l’empirisme ce qui ne peux aboutir à rien d’autre qu’à des résultats tout à fait arbitraires.

05.05.2008


[1]Texte daté du 18 janvier 2008 et publié dans le CRI des Travailleurs n°25
[2]Deux gouvernements provinciaux de la République de Weimar, dans lesquels le KPD, qui à l'époque était encore un parti révolutionnaire, participait dans une coalition gouvernementale avec le SPD.
[3] Dans plusieurs pays il existe 2 organisations qui se réclament de cette tradition : en Allemagne le SAV et « Der Funke », en Belgique : le LSP/PSL et le « Vonk » et en France : Gauche Révolutionnaire et « La Riposte ». On peut également consulter : http://en.wikipedia.org/wiki/Militant_Tendency.
[4]« Il était juste, notamment, d’appeler à ce qu’ils s’unissent sur la base d’un programme ouvrier et même d’appeler tactiquement à voter pour eux malgré leur programme réformiste quand il s’agissait d’infliger une défaite aux partis directement représentatifs de la bourgeoisie. » (Le Cri des travailleurs, n° 25, janvier-février 2007, p. 18)
[5] http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1932/01/320127f.htm
[6]C’est-à-dire un sorte de programme minimum sans quoi le communistes ne peuvent faire partie d’une coalition gouvernementale avec d’autres partis ouvriers.
[7]Que Trotsky ait concentré, avant 1933, le feu de sa critique sur le KPD ne signifiait nullement qu’il entretenait des illusions dans le SPD. L’engagement définitif de la direction social-démocrate du côté de la bourgeoise était pour lui un fait établi.
[8] Le SPD continuait encore à se revendiquer du socialisme dans le programme de Görlitz (1921) et dans celui de Heidelberg (1926).
[9] « …incompréhension du fait que le réformisme, courant politique bourgeoise dirigeant le mouvement ouvrier ne peut ” nuire aux intérêts du prolétariat”, c’est-à dire de la révolution…qu’au prix de l’obtention de réformes améliorant réellement les conditions de vie immédiates du prolétariat. »
[10]http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1930/01/300108_5.htm
[11] A cette époque Lafontaine était encore le président du SPD, aujourd’hui il fait partie de « Die Linke »
[12] Même « Die Linke » en tiennent compte. Au niveau parlementaire, ils l’ont même fait habilement. Elle a donc proposé le texte d'un projet de loi sur le salaire minimum, pour lequel le SPD avait recueilli des signatures, au vote devant le Parlement. Afin de sauver sa « grande coalition » avec le CDU bourgeois, le SPD a été contraint de voter contre son propre projet de loi! Cependant, «Die Linke n’ont fait aucune campagne offensive de masse. Comme d'habitude, Ils se sont contentés des échos que leurs communiqués de presse pouvaient avoir dans les médias bourgeois.
[13] Le parti de Chirac et de Nicolas Sarkozy
[14]Voir la brochure "L’organe de masse» dans laquelle Erwin Wolf (sous le nom de Nicolle Braun) a résumé la discussion de Trotsky avec les trotskystes français au cours de le entrisme dans la SFIO. Cette brochure illustre, avec une clarté extraordinaire, ces tendances à l’adaptation. Ce texte est disponible dans « Les cahiers du C.E.R.M.T.R.I. », «Documents sur la Ligue communiste française (bolchevicks-léninistes)(1932-1936), n° 53, juin 1989, pp 39-88). Nous recommandons vivement la lecture de ce texte.
[15]Trotsky, « Un nouveau tournant est nécessaire », Lettre au Secrétariat International, 10-06-1935, http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1935/06/lt19350610b.htm
[16]Michel Pablo, « Sur le Mot d’Ordre de ''Gouvernement Ouvrier et Paysan'' », mai 1946, publié dans « IVe Internationale » n° 30, juin juillet 1946, p. 23, http://asmsfqi.org/spip.php?article732 Michel Pablo, pseudonyme de Michalis Raptis, militant grecque (1911-1996) était secrétaire de la Quatrième Internationale et qui a donné son nom à toute une série de révisions des positions de l’Internationale qu’il tentait de diriger d’une main de fer.
[17] Ibid, p. 24
[18] http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/trans/tran13.html
[19] Il s’agit des Cadets (ndlt)
[20] Souligné dans l’original
[21]Leo Trotzki : Zur Verteidigung der Partei, dans ”Schriften zur revolutionären Organisation”, Hamburg 1970, p. 139
[22]La grève générale avait débuté le 20-12-1960 et allait durer jusqu'au 21-01-1961.
[23]Gaston Eyskens était le premier ministre Gaston et son parti démocrate-chrétien dirigeait le gouvernement.
[24]André Renard (1911-1962) : militant syndical et fédéraliste wallon, après la 2e Guerre Mondiale il était devenu un dirigeant de l’aile gauche de la FGTB. Après la Grande Grève il a fondé le Mouvement Populaire Wallon (MPW). Le MPW se battait pour des réformes de structures de fédéralisme. Les partisans de Mandel se sont joints au MPW.
[25]cf. André Renards dans la brochure « Vers le socialisme par l'action », paru en 1958 mais en fait rédigé principalement par Ernest Mandel.
[26]«La Gauche» du 24-12-1960
[27]Le Monde du Travail, un quotidien qui était l’organe de l'Association régionale liégeoise du Parti Socialiste Belge
[28]La Wallonie était un quotidien appartenant à la FGTB et sous l’influence des renardistes.
[29]C’est-à-dire le Parti Socialiste Belge et le syndicat FGTB
[30]Le Secrétariat Unifié s’est constitué en 1963 par la fusion entre le Secrétariat International de Pablo-Frank-Mandel et la majorité du Comité International, sous l’impulsion du SWP américain. Il se considère comme LA Quatrième Internationale. Aujourd’hui il a pris le nom de Comité International.
[31]Il s’agit évidemment de la période du début des années 50.
[32] Georg Jungclas dans un exposé manuscrit "La tactique du l’entrisme", Documentation, Ed. GIM, section de Cologne, sans date.
[33]Le SWP (Socialist Workers Party) était l’organisation trotskyste historique aux Etats Unis. Aujourd’hui il est devenu un porte-parole américain pour le castrisme. Le PST (Partido Socialista de los Trabajadores), aujourd’hui disparu, a été une des principales organisations se réclamant du trotskysme en Argentine. Son dirigeant principal était Nahuel Moreno.
[34] Gruppe Internationale Marxisten (Groupe de Marxistes Internationalistes), nom de la section ouest-allemande du SU à l’époque où se document fut écrit.
[35]Résolution du quatrième Congrès Mondial du Secrétariat international de la IVe Internationale, « L’étape actuelle de la situation internationale et les tâches de la IVe Internationale », IVe Internationale, n° 66, juin-aout 1954, p. 51 (http://www.association-radar.org/IMG/pdf/16-014-00066-53.pdf)
[36]SAP (Sozialistische Arbeiterpartei- Parti Ouvrier Socialiste): organisation centriste née d’une scission de gauche du SPD en 1931 et qui a disparu de la scène politique en 1945. Au début il comptait plus de 16.000 militantes et militants. A fait partie du Bureau de Londres avec d’autres partis ayant quittés la social-démocratie. Le SAP a aussi collaboré en 1934 avec la Ligue Communiste Internationale de Trotsky. Suite à plusieurs crises politiques et son refus de critiquer les Procès de Moscou, il a assez rapidement perdu beaucoup de militants et d’influence politique.
[37]Deutsche Gewerkschaftsbund, la grande centrale syndicale de masse, liée au SPD.
[38]Georg Jungclas (1902-1975), militant du KPD, partisan de Trotsky depuis la fin des années vingt, 1933 exil au Danemark, dans la clandestinité après l’invasion nazi, arrêté en 1944 et prisonnier en Allemagne, libération en avril 1945. Dirigeant de la section allemande de la IVe reconstruite. Participe à la fondation d’un parti titiste qui disparaitra rapidement. Ensuite il entre au SPD où il reste jusque dans les années 60. Il participera à la fondation du GIM.
[39]Alternative Socialiste (Sozialistische Alternative, à ne pas confondre avec le nom de section actuel du CIO-CWI) était une alliance électorale de différentes organisations d’extrême gauche, avec un programme très confus. Ce type d’alliance, en France ou en Angleterre s’est toujours soldé par en échec à tous les niveaux.
[40]C’est-à-dire toutes les organisations se situant à gauche de la social-démocratie
[41]Quatrième congrès mondial de l’lC : « Thèses sur la tactique de l'IC », traduit de l’allemand (Die Kommunistische Internationale, Band 2, 3. und 4. Weltkongreß, Thesen und Resolutionen, p.14) ; Jusqu’à présent, à notre connaissance, il n’existe aucune traduction correcte en français de ces Thèses. Dans la réédition de Maspero (1975) le point 10 des thèses, « La tactique du front unique », est même complètement manquant (p. 158)
[42]Amsterdam : référence à l’Internationale d’Amsterdam, nom populaire de la Fédération Syndicale Internationale, dominée par la social-démocratie.
[43]« Thèses sur la tactique » du IIIème Congrès mondial du l’IC, Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès mondiaux de l’Internationale Communiste 1919-1923, Réédition Maspero, p. 105
[44] Ibid., p. 106
[45]« éventuellement seul » (eventuell selbständig) : ces mots ne se trouvent pas dans la traduction en français
[46] Ibid., p. 101
[47] Thèses sur l’unité du front prolétarien, point 18, IVème congrès mondial de l'IC http://www2.cddc.vt.edu/marxists/francais/inter_com/1922/ic4_02.htm. Nous avons légèrement corrigé cette traduction en utilisant le texte original allemand. Ces corrections sont entre parenthèses. En fait, ce texte ne fut pas adopté lors du congrès mais le fut unanimement par le Comité Exécutif lors de sa réunion du 18 décembre 1921. Souligné dans l’original.
[48]Lettre de la direction de la section allemande de l'année 1953
[49]Exposé tenu devant l’IVe congrès mondial du Secrétariat International de l’IVe Internationale en juillet 1954
[50]E. Gerbel dans «Die Internationale », 2e année, n° 1, janvier-mars 1957, p.18-19
[51]Bad Godesberg : nom de ville ou le SPD, lors d’un congrès qui fût tenu fin 1959, renonçait officiellement au marxisme, reconnaissait l’économie de marché, rejetait la laïcité et se transformait d’un parti ouvrier en un parti populaire.
[52]Leo Trotzki: Zur Verteidigung der Partei, dans ”Schriften zur revolutionären Organisation”, Hamburg 1970, p. 149. Il existe aussi une traduction anglaise de ces écrits qui sont parus dans Journal of Trotsky Studies n° 2, 1994. Nous avons aussi utilisé ce texte pour vérifier la traduction. Hélas, nous n’avons pas eu accès au texte original en russe.
[53]Leo Trotzki: Zur Verteidigung der Partei, dans ”Schriften zur revolutionären Organisation”, Hamburg 1970, p. 150. Souligné dans l’original.
[54]Leo Trotzki: Zur Verteidigung der Partei, dans ”Schriften zur revolutionären Organisation”, Hamburg 1970, p. 151. Souligné dans l’original.
[55]Leo Trotzki: Zur Verteidigung der Partei, dans ”Schriften zur revolutionären Organisation”, Hamburg 1970, p. 152. Souligné dans l’original.
[56] Il s’agit ici d’hommes élus dans des collèges électoraux. Les élections pour la première Douma en 1906 furent régies selon la loi électorale de 1905. Ces élections étaient indirectes en non universelles (les femmes, les soldats et les officiers en étaient exclus). Il s’agissait d’élire 4 collèges électoraux (les grands propriétaires de terrain, les citadins, les paysans et les travailleurs) et avec des quotas très différents selon le collège pour pouvoir être élu.
[57] Petrunkevitch, Ivan Illitch (1843-1948): un des fondateurs du Parti Cadet et membre de sa direction, élu à la 1è Douma en 1906, après la dissolution de celle-ci, il passe 3 mois en prison, émigre en 1919.
[58]Leo Trotzki: Zur Verteidigung der Partei, dans ”Schriften zur revolutionären Organisation”, Hamburg 1970, p. 159. La traduction allemande et anglaise du deuxième paragraphe de cette citation diffère légèrement. Souligné dans l’original.
[59]Octobriste: membre d’un parti libéral russe, appelé Union du 17 Octobre. Il appelle à réaliser le manifeste du tsar du 17 octobre 1905 qui voulut introduire des pseudo-réformes. Fondé par des industriels, il regroupait aussi certaines couches de la noblesse, des bureaucrates et des hommes d’affaires. Ce parti était opposé à la toute révolution.
[60]Pavel Milioukov (1859-1943) : historien, dirigeant du parti Cadet, opposé à l’absolutisme, après1905, sous son influence ce parti évoluera vers la droite, abandonnant le mot d’ordre de république. Ministre du 1er gouvernement provisoire en 1917 et partisan de la poursuite de la guerre. Opposant farouche de la révolution d’Octobre
[61]C'est-à-dire qu’il s’agit d’abord des élections pour désigner les membres d’un collège électoral, qui à leur tour élisent les représentants parlementaires. 
[62]Voire note 58
[63]Pourichkevitch Vladimir (1870 — 1920) : pendant la révolution de 1905, il organise les Cents Noirs (milice ultra-nationaliste, pro-monarchiste et virulemment antisémite), élu à la Douma en 1906. Opposant farouche de la révolution de Février, il participe à différentes tentatives de regroupements des forces opposées à tout changement. En novembre 1917, il est arrêté pour avoir participer à un complot militaire « pour rétablir l’ordre à St-Petersbourg ». Amnistié, il ne tarde pas de rejoindre les armées blanches.
[64]Guckov Alexander (1862 — 1936) : dirigeant des Octobristes, ministre de la Guerre et de la Marine dans le 1er gouvernement provisoire. En 1917, il propose une monarchie constitutionnelle.
[65] Voir note 64
[66] Leo Trotzki: Zur Verteidigung der Partei, dans ”Schriften zur revolutionären Organisation”, Hamburg 1970, p. 159-162. Souligné dans l’original. La partie finale du chapitre 4 de l’article « Sur le chemin vers la Deuxième Douma » est différente dans les traductions allemandes et anglaises (cfr. page 162 pour la première et p.105-106 pour la seconde)
[67]p.163 pour la version allemande et p.105 pour la version anglaise. Il existe de différences non-négligeables entre ces deux traductions. Elles se situent moins dans le contenu mais au niveau de l’ordre des paragraphes dans le chapitre 4 et 5 respectivement.
[68] http://www.marxists.org/francais/engels/works/1875/03/18750318.htm
[69] http://www.marxists.org/francais/marx/works/1859/01/km18590100b.htm. Soulignez dans l’original.
[70] Leo Trotzki: Zur Verteidigung der Partei, dans ”Schriften zur revolutionären Organisation”, Hamburg 1970, p. 165. Soulignez dans l’original.
[71] http://groupecri.free.fr/article.php?id=324
[72]Heinrich Brüning (1885-1970) : membre du Zentrumspartei (le parti catholique), chancelier de 1930 à 1932, avec le soutien parlementaire du SPD (qui ne faisait pas partie du gouvernement). Il était très impopulaire à cause des mesures d’économie prises par son gouvernement et de ses décrets lois (dans certaines circonstances le chef du gouvernement pouvait passer des mesures d’urgences sans l’accord préalable du Reichstag).
[73]« Que la social-démocratie, pour éviter la mobilisation des masses, joue un rôle contre-révolutionnaire et soutienne dans les faits, voire parfois explicitement, un gouvernement bourgeois, c’est évident. Mais, (…) la social-démocratie a justement été « exclue du gouvernement après l’instauration du régime présidentiel ». Or, il faut se demander pourquoi : pourquoi la bourgeoisie a-t-elle justement considéré que, si elle pouvait compter sur le soutien de la social-démocratie dans la lutte de classe (pour briser la révolution et canaliser la classe ouvrière), elle ne pouvait en revanche plus la mettre au pouvoir quand il s’agissait de briser les acquis sociaux ? — Précisément parce que la bourgeoisie savait très bien que cela conduirait à une transformation de la nature même du SPD, donc à une rupture massive de la classe ouvrière socialiste avec lui, et par là même, à la perte de cette soupape de sûreté fondamentale que constituait la social-démocratie. » Extrait de « Que cherche le Groupe Bolchevik ? Réponse à la lettre du GB du 11 février 2004” (http://www.revolution-socialiste.info/ReponseduCRIauGB.htm)
[74]http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1932/01/320127b.htm
[75]Un exemple très typique est le RSB (une des 2 organisations en Allemagne liées à l’ex-SU): «Tout parti réformiste-socialiste est un parti bourgeois, car ils finissent par préférer le système capitaliste à une révolution socialiste. Ils ont une double nature dans la mesure où ils adhèrent à leurs objectifs socialistes et/ou ils organisent des travailleurs sur base de leur classe » dans: « Le SPD un parti bourgeois », «Avanti», journal du RSB, du 03.01.2000. Rien n'illustre mieux l'absurdité de cette théorie du le point de vue marxiste que le rôle social des partis sociaux-démocrates est rendu dépendant des décisions prises par ces partis ..., ou dépend de la constatation qu’il existe encore des organisations ouvrières qui pratiquent le sport et d'autres clubs sociaux-démocrates.
[76] http://fr.wikipedia.org/wiki/Courant_lambertiste
[77]Courant issu de la scission de la Quatrième Internationale en 1953 et dirigé par Pablo-Mandel. Ce courant se caractérise par son révisionnisme du « vieux » trotskysme et par son adaptation à toutes sortes de courants petits-bourgeois.
[78] Edward « Ted » Grant (de son vrai nom Isaac Blank), né le 9 juillet 1913 en Union d'Afrique du Sud et mort le 20 juillet 2006 à Londres. La politique de son courant est une variante politique du pablo-mandelisme. En France, le journal « La Riposte » appartient à ce courant (Tendance Marxiste International). Plus connu comme dirigeant de la tendance Militant dans le Labour Party.
[79] http://fr.wikipedia.org/wiki/Comité_pour_une_Internationale_ouvrière. En France, il est représenté par le groupe « Gauche Révolutionnaire ».
[80]http://www.rsb4.de/index.php?option=com_content&task=view&id=934&ltemid=9